Imaginez qu’il y ait une antenne du Ku Klux Klan qui décide de faire, en France, un camp d’été, exclusivement réservé aux blancs, présentés comme les victimes d’un Etat antiségrégationniste, incapable de faire respecter la suprématie de la race caucasienne sur toutes les autres. On hurlerait au racisme, au fascisme, au retour de la bête immonde, aux heures sombres et aux ventres féconds, le tout à juste titre d’ailleurs. On appellerait à combattre, au nom de nos idéaux universalistes et républicains, cette idéologie nauséabonde qui hiérarchise les hommes en fonction du taux de mélanine que leurs cellules contiennent et on rappellerait que l’aboutissement de la quête de la pureté de la race a donné le crime contre l’humanité.
Or il suffit que les mêmes délires raciaux soient portés par des personnes noires ou maghrébines, pour que le rejet de l’autre au nom de la couleur de sa peau ne soit plus vu comme la marque du racisme par l’extrême-gauche communautariste, mais devienne une question de dignité, une façon d’exhiber une appartenance communautaire réduite aux acquêts ethniques. C’est ainsi que pour la deuxième année consécutive est organisée, sur notre territoire, une manifestation dont aucun raciste assumé n’avait jamais osé rêver jusqu’alors: créer une université d’été politique où, au nom de l’antiracisme, on choisit de sélectionner les gens en fonction de la couleur de leur peau et où la non-mixité est obligatoire: un «camp d’été décolonial», réservé aux personnes victimes du «racisme d’Etat» et expressément interdit aux blancs, qui se tiendra du 12 au 17 août.
Pour ces identitaires l’interdiction aux blancs est essentielle dans leur démarche: leur couleur est la marque de la domination. Le couple mixte aussi est exclu: il faut lire cet article paru sur le site du Parti des Indigènes de la république, intitulé «le métis et le pouvoir blanc»: «Les relations intimes, les corps, les identités, n’échappent pas à la violence des rapports sociaux de race. Le «mariage mixte» et son produit, «le métis», sont le théâtre de cette violence».
Cette façon de voir le monde et de se représenter les liens entre les hommes est sans issue. Il n’y a que deux attitudes possibles: l’identification ou le rejet. La couleur de peau devient la seule appartenance légitime: Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, dans son livre qui assume son racisme dès le titre «Les Blancs, les Juifs et nous», le dit très clairement: «J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam». Le «je» a disparu, l’individu n’est plus, seul le «nous communautarisé» a droit de cité.
L’organisation de ce camp a valeur de test politique
Dans ce camp, les enfants de 10 ans sont admis et ont même droit à une réduction. L’allégeance et la haine s’inculquent tôt.
Relativisons néanmoins, ce camp ne semble pas faire recette: il ne concerne que 210 personnes et à lire les mentions insistantes sur le site poussant à ce que le bouche à oreilles se multiplie, les effectifs ne semblent pas pulvériser les capacités d’accueil. Plus sérieusement, si leur site fourmille d’interview et de textes «politiques», dont la langue de bois tient du pur chêne massif, on ne trouve rien sur le contenu du camp lui-même. Quels ateliers ? Quels formateurs ? Quelles associations y participent ? L’initiative est-elle si peu valorisante qu’y être lié est vu comme contre-productif ?
Quant au formulaire d’inscription, il ferait les beaux-jours d’un cercle de psychanalystes: rédigé sur le mode paranoïaque, il cherche sur la base d’un QCM à savoir si le candidat est bien compatible avec leur vision du racisme d’Etat. Les difficultés financières qui se lisent en filigrane des appels aux dons témoignent de la difficulté à donner une crédibilité à l’évènement. Quant à leur budget, qui ne fait apparaitre ni lignes de location d’établissement ou d’équipement, ni assurance, ni budget sécurité, on peut s’interroger sur sa sincérité. Le plus drôle étant le refus d’indiquer toute adresse «pour des raisons de sécurité». On s’offre les frissons que l’on peut. A vrai dire ces militants identitaires ne risquent rien d’autre que le ridicule ou qu’un propriétaire abusé, se rendant compte que leur manifestation est raciste, finisse par refuser la location. Ni plus, ni moins. En résumé, une offre opaque, peu d’information sur l’accueil et la sécurité des personnes, des postures outrancières et un budget artificiel… Tout cela n’est guère sérieux.
Cependant, si ces pieds nickelés semblent marquer le pas en termes d’organisation, les dégâts que cette idéologie fait sur des esprits faibles ou fragiles génèrent souffrances individuelles et échecs collectifs et politiques. Surtout, des organisations plus efficaces, comme le PIR, le CCIF, l’UOIF creusent les mêmes sillons. La seule utilité de ce camp décolonial, c’est sa valeur de test politique: il est important de s’assurer que même et surtout si le pouvoir change, la lâcheté en termes de discours et d’actions demeure, le silence de la presse reste assuré et celui des élites, acquis.
La réintroduction d’une parole ouvertement raciste, la réduction de l’identité dans l’enfermement aux origines, le refus du creuset de la nation au bénéfice du séparatisme racial, la hiérarchisation des droits selon la race, le sexe ou la confession et la référence à l’Islam, pour sacraliser le tout, c’est autour de ce blougi-boulga verbal et mental que se retrouvent toute la frange indigéniste et islamo-gauchiste: du collectif M’wasi, à Stop les contrôles au faciès, du Parti des Indigènes de la République aux fans d’Alain Gresh et de Tariq Ramadan, des Marches pour la dignité au collectif Lallab, en passant par le CCIF. L’idéologie que partagent tous ces groupuscules et personnalités se caractérise par le rejet violent de l’humanisme, de cette égalité en droit des hommes à raison du partage d’une humanité commune.
Apprentis sorciers du commerce identitaire
La couleur de peau est pour ces racistes qui se prétendent militants antiracistes le seul absolu qui permet de penser les rapports humains. Lesquels n’existent qu’à travers les rapports de force. Aussi, pour ces militants, la seule question qui vaille est celle de la domination. Si vous n’êtes pas dominant, vous êtes dominé. Fin de la richesse et de la complexité des relations sociales. L’intelligence et la bienveillance y perdent ce que la violence et la haine interraciale y gagnent. Cette médiocrité spirituelle et intellectuelle n’est pas qu’un poison qui castre les personnalités au nom de la communauté, c’est aussi un vecteur d’infantilisme. La façon d’envisager l’intégration à la société se réduit à trouver un responsable pour ses échecs collectifs et personnels, à le mettre en accusation et à le haïr s’il est plus fort en entretenant sa frustration ou à se venger en espérant que cela réparera la fatuité d’un ego immature hâtivement rebaptisé «honneur». Infecter des jeunes avec ce poison idéologique qui les voue à l’échec c’est saboter leur avenir en leur ôtant l’idée même qu’ils puissent en avoir un. Trouver leur place dans la société devient trahir leur communauté, accepter la règle commune devient se soumettre à l’oppresseur blanc. Placé dans cette injonction contradictoire, l’individu ne peut plus se construire, seule la régression communautariste lui permet de se définir, mais pour cela, il lui faut renoncer à être.
Voilà comment ces apprentis sorciers du commerce identitaire se font en définitive des fossoyeurs de liberté, d’émancipation et d’altérité sur le dos d’une jeunesse qui mérite mieux que d’être la chair à canon de la racialisation des rapports sociaux et humains.