Présenter un programme n’est jamais chose aisée. Un catalogue de mesures, cela ne donne pas forcément un projet d’avenir ni du sens à une démarche politique et réussir à y instiller du souffle relève souvent du grand art. Emmanuel Macron n’a néanmoins pas transcendé l’exercice et sa posture de technocrate n’a pas aidé. Mais il a aussi montré de la pédagogie et de la maîtrise. Même si on a pu craindre qu’il ne se départisse jamais de son costume de super chef de bureau à Bercy, pour donner à voir l’homme politique qu’il doit pourtant incarner eu égard à ses ambitions. La séance des questions avec les journalistes a été plus intéressante, le candidat retrouvant alors vie, mordant et densité.
Comme beaucoup j’attendais néanmoins cette présentation de programme. D’abord parce qu’à regarder Emmanuel Macron dans le début de sa campagne, on pouvait craindre que le candidat ait tellement à cœur de plaire à ses différents interlocuteurs, qu’il n’adapte chacun de ses discours à la personne qu’il avait en face. D’où les prises de positions inutilement polémiques sur l’assimilation de la colonisation à un crime contre l’humanité, position prise en Algérie, pays où la mise en accusation permanente de la colonisation est la martingale du pouvoir algérien pour ne pas rendre compte à son peuple de son action ou les réactivations des tensions liées à la Manif pour Tous, pour parler à un électorat de droite qu’il pouvait toucher sans ranimer de biens stériles polémiques. L’inutilité de cette huile jetée sur des feux certes mal éteints, mais plus sous les projecteurs, a surpris.
Une nouvelle façon d’appréhender l’action publique
Pour autant, Emmanuel Macron a su fort bien mettre en scène ce qui fait de lui un homme nouveau sur la scène politique : l’intuition que les clivages traditionnels avaient bougé et que dans ces temps de recomposition politique, il fallait changer de logiciel et de façon d’appréhender l’action publique. Et il le traduit en remettant le temps long au cœur de l’action. Quand il se réfère à l’approche scandinave en matière de changement de paradigme, c’est pour rappeler que si des réformes essentielles, modifiant l’approche de certaines problématiques, sont actées sans violence sociale, c’est qu’il n’y a pas non plus de mépris législatif : les diagnostics, réflexions, objectifs, négociations et mises en place s’inscrivent dans le temps long et ne font jamais l’économie du réel. Et c’est bien là la seule manière de changer les mentalités et de faire des réformes adaptées aux réalités sans être punitives et brutales. En France, ces dernières années, on a eu tendance à préférer souvent l’inflation de normes, davantage conçues pour permettre à leurs promoteurs d’organiser leur communication que pour changer la donne. Ainsi, comme nous n’évaluons pas l’application de la précédente loi avant de concevoir la seconde, le politique part de résultats espérés, qui n’ont en fait pas été atteints, pour promouvoir les nouveaux objectifs. On arrive ainsi à des injonctions irréalistes qui démotivent les acteurs, amènent à camoufler les réalités et finissent par abimer le service public et la confiance des citoyens en son efficacité. Les lois santé en sont un bon exemple. Nous réussissons à cumuler inflation législative et inapplicabilité des lois. Ainsi nombre de décisions votées ne seront jamais traduites dans les faits et le phénomène s’accentue d’années en années.
Sa façon de penser l’avenir des retraites est une approche originale et sensée. Il ne se paye pas de mots et ose bousculer certaines vaches sacrées : Enfin on arrête de faire tourner les moulins à prières et les constats que nous faisons tous, à notre niveau, ont l’air d’atteindre nos représentants : il a le courage d’arrêter de dire que notre école, notre hôpital et notre médecine sont les meilleurs du monde alors que les classements internationaux ou l’état de nos hôpitaux et la souffrance du personnel nous disent le contraire.
L’intuition du besoin de régalien et la difficulté d’en tirer les conséquences
Il ose également assumer la réaffirmation du régalien, même s’il n’en tire pas toutes les conséquences et est le seul qui dès son introduction prend en compte la violence des attentats que la France a subie. Il ne va pas jusqu’à poser ouvertement la question du projet politique islamiste qui travaille à déstabiliser la république et organise la sécession de pans entiers de notre population dans certains quartiers. Il met ainsi beaucoup en avant les discriminations (réelles). Mais oublie la culture de la victimisation et de l’excuse (qui ne sont pas moins réelles). Il ne regarde pas en face les conséquences de l’idéologie des frères musulmans et des soi-disants indigènes de la république, qui en cultivant la haine de l’Etat et de la société, caricaturés comme oppresseurs et racistes et en instrumentalisant la religion pour en faire l’identité unique et absolue de ceux qu’ils veulent placer sous leur emprise, travaillent à un funeste détricotage de la Nation.
C’est dommage car il passe à côté du véritable besoin de protection de nos citoyens : au-delà de la sécurité physique, c’est l’engagement des politiques de défendre un certain esprit et un mode de vie qu’ils attendent. Nos concitoyens ne sont pas des tenants du multiculturalisme (entendu comme le fait de faire dépendre la nature de nos droits et de nos protections de nos appartenances communautaires) et ils ne veulent pas d’un Trudeau à la française. Mais force est de constater qu’excepté François Fillon, seul lucide sur ces questions, en la matière, il reste très influencé par le refus de regarder en face ces dérives. Un refus qui est en train de remettre la gauche devant une de ses responsabilités historiques lourdes : son aveuglement face au totalitarisme qui l’a conduit dans le passé à soutenir les pires bourreaux, de Staline à Mao en passant par Pol-Pot.
Se garder de l’esprit Terra Nova
On ne saurait trop conseiller également à Emmanuel Macron de se garder de l’esprit Terra Nova, outre que l’on a là la quintessence de l’approche technocratique, dans ce qu’elle peut avoir de meilleur comme de pire, c’est surtout une forme de pensée qui se méfie de la politique au sens noble du terme, qui nie les questions de souveraineté et qui n’a jamais su aborder la dimension du monopole de la violence légitime qui est au cœur de la constitution des Etats et du pouvoir régalien.
La célèbre note de terra Nova sur la stratégie à adopter pour l’élection présidentielle de 2012 est à ce titre instructive. Pas de discours à la Nation ou de référence à la France et au peuple. Pas de vision, même pas de projets, juste une étude de marché pour savoir quel segment de population cibler dans le discours afin de l’emporter. Ce positionnement à courte vue n’est pas pour rien dans les divisions que nous supportons car il évacue le politique en tant que moyen de fabriquer une Nation pour investir dans le marketing pour gagner les élections. Ainsi les minorités (femmes, immigrés – notamment de confession musulmane, homosexuels) se sont vus placées au cœur de la stratégie électorale alors qu’ils n’avaient pas les mêmes intérêts. Seul moyen alors d’agréger ces attentes différentes, les réunir sous l’angle des discriminations et leur donner un statut de victime de l’Etat et de la société. Conquérir le pouvoir ne dépend plus de la capacité à donner envie à aux citoyens de travailler à leur avenir et de préparer celui de leurs enfants, mais revient à mettre en accusation son propre pays et à donner des créances à certaines catégories de la population sur d’autres. C’est la vente à la découpe de l’esprit civique.
Rompre avec cet esprit de division qui est devenu le cœur du clientélisme électoral fait partie de la moralisation de la vie politique. Il permettra de mettre fin au déni et à l’aveuglement face à la montée de l’islam politique et arrêtera l’irrésistible ascension de Marine Le Pen. Laquelle se nourrit plus de la lâcheté d’une grande partie de la classe politique face à la montée de l’idéologie islamiste que de l’adhésion à un modèle identitaire figé, fermé et xénophobe. Sur ces sujets Emmanuel Macron a une marge de progression notable mais je lui fais crédit d’avoir remis vertement à sa place, devant les caméras, un salafiste qui venait tester sa capacité à résister lors d’un déplacement à Montpellier : « « Quand une association déclare que les valeurs qu’elle porte sont supérieures à la République, il faut la démanteler« .
Au-delà de ces sujets que l’actualité a installé au cœur de notre République, Emmanuel Macron s’est montré très pertinent dans l’accent mis sur la transmission et le rôle de l’école, comme sur la question de la lisibilité et de l’intelligibilité de l’action publique. Une dimension qui, pour avoir été négligée, n’est pas pour rien dans le rejet du politique comme des institutions.
Des lacunes en matière de laïcité
Sur la laïcité, il ne m’a pas convaincu et l’affichage très marqué, dans le résumé de son programme, de l’acceptation du voile à l’université me gêne profondément, mais en la matière les autres candidats sont souvent largement plus ambigus. Au moins est-il clair sur sa vision de la loi de 1905. Il a ainsi été très explicite sur le fait qu’il n’acceptera pas, qu’au nom de leurs croyances, les principes de la République ne soient pas respectés par certains.
Surtout on a évité les amalgames que font la plupart des candidats de gauche qui, croyant défendre les droits des Français de confession musulmane, promeuvent le discours et les revendications séparatistes des islamistes. Et même si cela peut paraitre anecdotique, l’entendre parler et regarder en face le recul des droits des femmes était intéressant et changeait de la bêtise d’un Benoit Hamon pour qui la laïcité protège autant le short que le voile. Le candidat socialiste montre ainsi soit une naïveté crasse, soit un clientélisme peu reluisant : il va falloir lui expliquer qu’un vêtement comme le short se porte un jour et peut s’enlever le lendemain, alors qu’un symbole religieux conçu aussi comme un message politique ne se change pas. Voilà pourquoi le voile n’est pas un vêtement : essayez donc de ne le porter qu’un jour sur deux et on va voir si le short et le voile sont équivalents…
Bref, à la fin, j’ai trouvé ce jeune candidat, dont on ne sait pas grand-chose de ce qui le structure et l’anime, plutôt intéressant dans cette séquence. Dans la mesure où, quoique nous pensions de l’étoffe des impétrants, nous aurons en mai un Président de la république, autant essayer de ne pas le choisir uniquement par défaut, puisque de toute façon nous le subirons.
Il faut dire que les temps politiques que nous vivons sont durs et que jamais les candidats en lice n’ont paru si légers. « Et dire qu’il va falloir compter sur eux », me disait une amie, jeune femme d’une vingtaine d’années, atterrée par l’ampleur des dangers qu’elle voyait monter à l’extérieur comme à l’intérieur des frontières. Et c’est vrai que l’on a parfois l’impression, en regardant nos aspirants présidents, de voir des navires de plaisance ondulant du gouvernail sans se rendre compte que la haute mer s’est incrustée dans le port. Mais il arrive parfois que l’adversité révèle le caractère. Emmanuel Macron a montré qu’il pouvait en avoir, j’espère qu’il prendra conscience que la politique n’est pas chose technique, que la citoyenneté demande de la transcendance et que les forces qui font un peuple et une Nation exigent que l’on porte l’esprit d’un pays et que l’on ne s’attache pas seulement à la lettre d’un programme. Il y a encore du travail mais il fait partie de ceux dont l’intelligence et la jeunesse peuvent permettre bien des progressions. C’est en tout cas ce que je lui souhaite et surtout ce que je nous souhaite puisqu’il parait aujourd’hui être le plus à même d’empêcher une victoire du FN.
Cette tribune est également parue sur le Figarovox le 3 mars 2017