C’est l’histoire d’un dirigeant de pays étranger, venu sur le sol français pour un rassemblement consacré soi-disant à la lutte contre le terrorisme, qui se transforme en gigantesque meeting politique… Un meeting où la folie meurtrière de l’Etat Islamique est occultée et où les Kurdes (qui ont payé le prix du sang face à l’EI) sont désignés à la vindicte populaire. Un meeting qui promeut un nationalisme turc expansif, appuyé sur l’exaltation des références religieuses et des symboles islamiques. Un meeting où la ségrégation entre hommes et femmes dans la salle ne souffre aucune contestation. Un meeting qui crie sa détestation d’une Europe, présentée comme rongée par la xénophobie, l’islamophobie et le racisme. Le tout pour finir sur un slogan ravageur : « un seul pays, un seul drapeau, une seule religion » : un impératif incompatible avec le fait de vivre dans une République laïque et sociale pour les ressortissants auxquels il s’adresse et qu’il place clairement en conflit de loyauté avec le pays dans lequel ils vivent…
Comment nos gouvernants peuvent-ils être inconscients de l’effet ravageur qu’a sur le peuple, le sentiment qu’un dirigeant étranger peut faire et dire n’importe quoi sur son sol, y compris porter atteinte à ce qui fonde le lien social et notre monde commun, sans même risquer l’incident diplomatique ou le moindre froncement de sourcils. Ignorer le sentiment d’insécurité que ce type de phénomène génère, c’est œuvrer à l’augmenter encore. A terme cela ne fait que durcir le regard porté sur une population, qui n’est plus regardé que sous un angle communautaire et religieux, qui n’est d’ailleurs mise en scène que dans sa rupture avec l’idéal républicain, jamais dans sa lutte pour l’émancipation, alors même que certains ont payé, dans leur pays ou ici, parfois au prix de leur vie le fait d’avoir voulu faire vivre la liberté de conscience et d’expression.
Le premier sentiment que l’on peut avoir devant ce meeting, est celui d’une France qui ne sait plus gérer le symbolique et la mise en scène du pouvoir. La démonstration de force d’un Erdogan sur notre sol, ne peut que laisser le sentiment de la faiblesse d’une nation, qui laisse contester ses principes et ses idéaux par un des principaux représentants de l’islam politique, alors même que ses propres dirigeants sont incapables d’avoir un discours sur la peur qu’induit l’impérialisme de cet islam là. Ce meeting donne le sentiment d’un gouvernement incapable de se faire respecter, même symboliquement, et dont la souveraineté n’est portée par personne.
Pire même, il accrédite l’idée d’une forme de cinquième colonne, laquelle vivrait sur le sol français mais obéirait à d’autres allégeances… Ce qui est délétère en terme de lien social. Ce genre de meeting, mis en corrélation avec les infos récentes du juge Trévidic concernant la faiblesse des forces de police en matière de lutte anti-terroriste a de quoi tendre encore les relations dans une France travaillée par la peur et l’attente du prochain attentat…
Être ainsi aveugle devant les représentations que déclenchent ce genre d’erreur nous coûte cher : il accentue le sentiment des Français d’être abandonnés par leurs propres dirigeants, d’être exposés dans un monde où les autres politiques, eux, assument leur volonté de domination… En face, ils ont le sentiment de voir danser de petits marquis poudrés, inconscients de l’arrivée de l’orage et prêt à brader la sécurité pour un plat de lentilles.
Car à la fin, après tout ce que nous avons vécu depuis Charlie, après toutes les informations qui font de notre territoire, une cible revendiquée par les terroristes islamistes, qui désignent bien l’esprit de la France, laïque et épris de liberté, comme étant une provocation en soi pour l’Islam politique ; laisser un tel meeting se tenir sur notre sol était une faute. Qu’un dirigeant islamiste (représentant de l’Islam politique) vienne faire une démonstration de force sur notre sol, après toutes les violences qui ont meurtri notre pays, cela laisse un goût amer.
Tribune parue dans le Huffington Post