« Nos idéaux humanistes sont beaux, soyons-en fiers et remettons à leur place ceux qui n’ont que la domination comme façon d’être au monde. »

Eviction du référent val d’oise d’En Marche : le choix de l’universalisme républicain contre le communautarisme ? 

Tribunes

Mohamed Saou, référent d’En Marche dans le Val d’Oise, a été démis de ses fonctions suite à un post sur Facebook où je m’étonnais de ce que ce mouvement ait donné d’aussi grandes responsabilités à un homme qui se vante publiquement de ne pas être et de n’avoir jamais été Charlie. L’anecdote a été évoquée lors de l’Emission politique sur France 2 jeudi 6 avril et fait depuis le buzz sur les réseaux sociaux.

Certes l’attitude ambigüe d’Emmanuel Macron lors de l’émission n’a pas aidé : refusant de justifier la mise à l’écart par des arguments de fond et saluant le travail accompli par son ancien cadre, Emmanuel Macron ne peut qu’alimenter le sentiment d’injustice de celui-ci. Il ne serait donc victime que de la capacité de nuisance d’une lanceuse d’alerte qui selon Mediapart serait connue « pour sa vision maximaliste de la laïcité », une formule dont on peut mesurer à la fois la charge de fiel et l’absence de tout contenu informatif réel.

Le fait que deux discours se fassent entendre dans l’entourage du candidat n’aide pas à la clarification du débat : l’un porté par Aurore Bergé est clair sur le fond et responsable sur la forme. Il explique la mise à l’écart de Mohamed Saou par l’incompatibilité entre les propos tenus sur facebook et les valeurs d’En Marche. Il affiche et affirme une ligne politique claire et une fermeté dans l’action. L’autre, cité dans l’article de Médiapart est un chef-d’œuvre d’absence de courage et de responsabilité : Mohamed Saou ne serait astreint qu’à une discrétion temporaire du fait de la « capacité de nuisance » d’une personnalité médiatique et de la nécessité d’éviter une « polémique secondaire ».

La crainte de l’effet Juppé versus la tentation clientéliste

En langage diplomatique, cela s’appelle la crainte de l’effet Juppé. Ou comment parce qu’un candidat est suspecté d’être dans le déni face à la montée du totalitarisme islamiste et de la montée de ses signaux faibles (les individus qui ne partagent pas consciemment cette idéologie mais finissent par en défendre les marqueurs par solidarité ethnique et culturelle), la courbe de ses soutiens s’inverse jusqu’à alimenter la montée en puissance de son adversaire.

Mais comme en même temps, on ne sait plus penser une campagne sans l’organiser autour de la séduction de clientèles plutôt qu’en la structurant autour de messages politiques cohérents, il faut aussi ménager l’électorat des banlieues qui est vu comme une collection de petits Mehdi Meklat : des personnes qui ont un rapport identitaire à la religion et sont infusées par la vision du monde des islamistes et du Parti des Indigènesde la République (PIR), dont ils défendent les marqueurs : assimilation des islamistes aux musulmans et des codes de l’islamisme à des traditions rituelles, tentative de faire interdire le blasphème en créant un délit d’islamophobie, exaltation de l’appartenance à l’oumma, défense du voile, sexisme, antisémitisme. Leur tenir un discours misant sur leur intelligence, leur capacité d’émancipation et jouant sur la liberté de penser plutôt que sur les marqueurs confessionnels et culturels apparait hors de propos à une partie de l’entourage du candidat d’En Marche. Du coup la polémique enfle sur les réseaux sociaux.

Le problème c’est que pour éteindre réellement l’incendie, il eut fallu trancher – ce qui a été fait – et assumer ce choix ensuite – ce qui n’a pas été fait. Du coup, la fachosphère islamiste, ses idiots utiles et ses relais médiatiques s’engouffrent dans la brèche. Le Collectif Contre l’islamophobie en France, antenne proche des frères musulmans et héraut de l’islam politique, soutient Mohamed Saou, validant la proximité de ses idées avec les leurs. Cette même fachosphère islamiste se déchaîne violemment contre Aurore Bergé, en la traitant au passage de sioniste. L’antisémitisme maladif des islamistes et de leurs porte-voix ressurgissant toujours avec force quel que soit le sujet.

Assumer de prendre ses responsabilités vis à vis de ceux qui aspirent au pouvoir

Cela pourrait être vu comme anecdotique, mais c’est plus grave qu’il n’y parait. D’abord parce que, jeunes mouvements ou vieux partis, tous devraient comprendre que l’on est responsable des gens à qui on donne du pouvoir sur autrui. Dans le cas d’En Marche, la jeunesse du mouvement favorise l’entrisme de nombre de « coucous » qui veulent se tailler une baronnie en profitant de l’ascension de leur leader. Ces ambitions sont normales, mais il faut être d’autant plus attentif à la réalité de l’esprit que porte ces personnes et des idées qu’ils défendent. A ce titre le tweet justifiant l’éviction de M. Saou par une incompatibilité avec les valeurs portées par En Marche envoyait un message clair à l’extérieur : ne pas être Charlie, c’était ne pas pouvoir être En Marche. En revanche celle que Mediapart, Libération ou le nouvel Observateur présente dans son article comme émanant du staff d’En Marche est la pire : c’est une stratégie de double langage : on retire Emmanuel Saou de la vitrine mais on cautionne le discours tenu puisqu’il s’agit juste de lui demander d’être discret en attendant que son champion soit élu. Pour mieux revenir ensuite ? 

Entre ces deux positions, on aimerait vraiment savoir où se situe Emmanuel Macron.

Le but de cette interrogation n’est pas polémique, car à refuser clairement de se positionner sur ces questions-là, certains politiques contribuent à l’enfermement communautaire et identitaire d’une partie de plus en plus importante de notre population. En niant que la pression exercée par les islamistes privilégie la voie de la contrainte sociale et communautaire, nos représentants ne comprennent pas l’accroissement de leur emprise. L’exemple de Meklat comme celui de Saou ou encore de ces jeunes qui agressent des filles en mini-jupe ou en vêtement moulant en témoigne. Bien sûr qu’ils ne sont pas des experts en théologie, connaissent souvent mal le Coran voire consomment de la drogue, de l’alcool et ne se comportent pas selon les préceptes des intégristes musulmans. A ce titre ils ne sont pas des islamistes, mais ils en défendent tous les codes (voile, burkini), interprètent toute mention d’un idéal laïque comme une attaque à l’identité musulmane, préfèrent promouvoir l’islamophobie et l’interdiction du blasphème au nom du respect de leur communauté et finissent par tirer à boulets rouges sur nos libertés publiques, particulièrement la liberté d’expression, assimilant à du racisme les idéaux universels de la République sociale et laïque, qui demande à toutes les religions de savoir rester à leur place. Ils ne peuvent être Charlie car le respect du prophète passe avant la liberté et même le respect de la vie des dessinateurs. Ne pouvant le dire à chaud, ils attendent un dessin jugé de mauvais goût pour pouvoir donner des gages.

Ils reprennent également sans discernement le discours de victimisation des Tariq Ramadan et consorts, qui fait qu’à chaque attentat, ils parlent moins de ceux qui ont payé de leur vie le fanatisme religieux des assassins que de la crainte de représailles qui pourraient s’exercer sur

les français de confession musulmane. Des représailles qui n’ont jamais eu lieu mais ont permis d’alimenter un discours sur la France raciste. Le même discours qu’un Mohamed Saou qui laisse entendre que son éviction est liée au fait qu’il soit le seul « référent d’origine maghrébine », alors que ce sont ses posts sur FB qui ont fait polémique.

Construire le chemin de l’émancipation plutôt que d’exploiter l’enfermement identitaire

Mais pire encore, à continuer à refuser de se positionner sur ces questions-là, ou à en faire des « polémiques secondaires », les politiques dans leur ensemble commettent une faute grave et enfantent des ribambelles de Mohamed Saou qui se consument, déchirés entre des allégeances incompatibles, des gages contradictoires à donner et des conflits de loyauté impossibles à résoudre. En effet, parce que certains de nos représentants ont oublié que la France n’est pas une auberge espagnole où chacun pourrait amener sa culture et ses traditions et les imposer à ses ressortissants communautaires dans un apartheid territorial revendiqué, ils n’ont pu transmettre et incarner le projet politique ambitieux que nous portons en tant que nation. Ils ont oublié qu’il pouvait y avoir des valeurs incompatibles entre elles et qu’il était important que les règles du jeu soient claires pour tout le monde, au risque que soit perçu comme de la discrimination ce qui relève plutôt d’une absence de maîtrise des codes de la société (ce qui ne signifie pas qu’il ne puisse exister des discriminations réelles). Ce faisant ils ont oublié qu’un projet bâti autour d’une société démocratique composée d’égaux partageant des idéaux universels accessibles à tous les hommes pour peu qu’ils fassent un effort d’élévation n’est une évidence pour personne. Encore moins quand on vient de cultures où l’inféodation à la communauté ethnique et religieuse rend particulièrement compliqués les choix individuels. Ce projet bâti autour de l’idée que nous ne sommes pas les représentants de nos particularismes, mais des créateurs de liens et des valeurs partagées n’est pas une évidence, il doit être transmis pour pouvoir être aimé.

La conséquence est terrible pour ceux qui sont ciblés par des démarches identitaro-religieuses. Forcés de donner des gages à leurs origines, accusés en permanence de s’en éloigner ou de les trahir, ils sont sommés au « Nous » et choisir un chemin personnel est assimilé à une rupture d’avec le groupe. Le moindre gamin de banlieue qui rencontre le succès ou la reconnaissance passe son temps à se justifier à coup de « je n’ai pas changé, j’ai toujours les mêmes copains, je ne trahis pas mes origines… » comme si les expériences de la vie, notre vécu, nos rencontres n’étaient pas là pour nous faire évoluer, grandir, changer notre regard sur nous et le monde, nous apprendre à prendre de la distance avec nos conditionnements, à soumettre nos appartenances à notre regard critique. Heureusement que la vie nous change et que nous évoluons. Assimiler cela à une trahison potentielle est dramatique. Parfois les éloignements ne sont pas des trahisons, mais des chemins pour mieux exprimer ce qu’il y a de plus profond en nous.

Il y a ainsi vis-à-vis des questionnements qui traversent les français d’origine musulmane un grand mépris de la part de ceux qui les réduisent à leur appartenance religieuse et ethnique et les pensent à ce point-là incapables d’émancipation et d’intégration qu’il faudrait soit leur donner des droits particuliers, soit changer notre contrat social car ils seraient incapables d’en intégrer les exigences. On voudrait créer ce rejet, que l’on fait semblant de tant redouter, que l’on ne s’y prendrait pas autrement.

Or il est du devoir du politique de dire au garçon qui exhibe sa barbe de salafiste et refuse de serrer la main à une femme qu’il aura du mal à trouver sa place parmi les citoyens, à la jeune fille ensevelie sous le voile que ce faisant elle fait un choix qui l’empêchera d’être intégrée à la société et que si à cause de son choix elle a du mal à trouver un emploi, un logement et est regardée de travers, c’est tout à fait normal. En revanche il doit aussi lui assurer que son intégrité physique sera respectée car c’est la mission de l’Etat que d’assurer la sécurité de tous ceux qui vivent sur son sol. Cette fermeté ouvre la voie à l’émancipation car elle permet de se positionner. Si nous sommes clairs sur les obligations à respecter pour trouver sa place dans la citoyenneté, alors la fille qui veut s’émanciper n’aura pas à affronter le fait qu’elle déshonore sa famille, se comporte comme une femme impure, est une insoumise qui mérite d’être chassée. Elle n’aura pas à porter toute seule la rupture et l’opprobre, ce qui est souvent trop demander à un être humain. Elle pourra arguer de la nécessité de trouver sa place dans le « nous » citoyen, pour remettre à sa place le « nous » tribal, ethnique et confessionnel et pouvoir enfin dire « je ».

Personne ne peut faire cela tout seul et l’émancipation des individus ne peut dépendre seulement de l’ouverture d’esprit ou de la grandeur d’âme de la famille dans laquelle il nait. Le collectif doit l’y aider et montrer le chemin. Pour avoir renoncé à cette mission, certains politiques sont en train de faire le malheur de leurs concitoyens. Emmanuel Macron pourrait sortir par le haut de cette polémique en devenant celui qui fait de l’émancipation, non un chemin solitaire, mais une ascension collective.

Cet article est également paru le 10 avril 2017 dans le Figarovox