« Nous avons encore de belles choses à apporter au monde, tout un patrimoine à faire partager et un monde commun à reconstruire. »

Face à l’islamisme, il nous faut des Churchill, pas des Chamberlain ! 

Tribunes

Quand les blés sont sous la grêle / Fou qui fait le délicat / Fou qui songe à ses querelles / Au coeur du commun combat / Celui qui croyait au ciel / Celui qui n’y croyait pas

Quand Aragon écrit La rose et le réséda, en 1943, à force de grêle, les blés se sont couchés et les hommes aussi. La France est sous la botte de l’Allemagne nazie. Dans sa dédicace, il mêle communistes convaincus et catholiques fervents, unis dans la lutte pour la liberté et l’amour de leur pays. A l’époque le rapprochement n’a rien d’évident tant tout semble opposer les deux traditions politiques et intellectuelles. Sauf que, l’ennemi que ces résistants affrontent, n’est pas un adversaire avec qui composer, mais un système totalitaire cherchant l’anéantissement et rejetant toute humanité. Tout le poème n’est pas une invitation au dépassement, mais le constat que le dépassement va de soi quand on sait pour qui et pour quoi on se bat. Le combat commun d’alors était celui mené au nom de la France et pour la liberté contre la barbarie et le totalitarisme nazi. Ceux qui les combattirent, comme le rappelait Pierre Brossolette au micro de la BBC, n’avaient ni uniformes, ni drapeaux, ni étendards, juste une conscience citoyenne et suffisamment de courage pour l’écouter. Ils étaient dans un temps métapolitique, comme on peut parler de métaphysique, un temps d’avant la question des orientations politiques.

Un temps où on ne se bat pas encore pour choisir, mais pour garder la possibilité de faire un choix. Un temps où la question du commun était d’autant plus importante qu’il n’existait plus: les hommes n’avaient plus de monde commun à protéger et à faire vivre. Plus de droits non plus, ils étaient soumis par la force et se battaient d’abord pour leur survie, l’appartenance même de certains à l’humanité étant contestée.

Le refus de la démocratie au nom de la restauration d’un ordre supérieur, immémorial, immuable et patriarcal et de l’avènement d’un homme nouveau censé y correspondre a surtout érigé l’homicide comme mode ordinaire de terreur et de gouvernement et le racisme comme idéologie permettant de hiérarchiser les hommes. Et ce refus d’accorder aux hommes l’égalité, ce refus de les considérer comme frère en humanité a conduit aux plus atroces crimes collectifs.

Il y conduit toujours: Mohamed Merah, Charlie, l’hypercacher, Paris, Nice, mais aussi Sousse, Dacca, Istanbul, Bagdad, Mogadiscio… Et la liste est loin d’être exhaustive. Déshumanisés parce que mécréants, aux yeux des jihadistes, la plupart des hommes sont impurs, superflus, éliminables. Chaque massacre appelle le suivant et toujours l’horreur grandit. Nous en sommes à la montée des périls, au temps où le crime artisanal attend d’avoir les moyens de donner la mesure de son ambition. Nous en sommes au temps où cette ascension est résistible si l’on arrête de se payer de mots pour se garder d’agir.

Car le pire c’est que toute cette violence, tous ces carnages sont calculés, pensés, objectivés et rationnalisés. Le massacre, la terreur ont une fonction politique. Elles cassent les résistances culturelles et les repères institutionnels en ramenant l’homme a un état primitif. Face à l’impuissance de l’Etat et à la médiocrité de représentants qui ne prennent pas la mesure du danger, l’homme ne se pense plus en être civilisé, qui a un patrimoine et un avenir à transmettre, mais en cible qui doit sauver sa peau et protéger seul sa famille.

L’attention que portent les islamistes aux symboles des pays qu’ils ciblent montrent qu’eux ont compris qu’il existait un inconscient collectif et une conscience de soi des peuples. Or ce sont ces résistances que les terroristes essaient d’abattre, celles-là mêmes qui font qu’on ne peut faire basculer si facilement dans la violence un pays conscient de son histoire, conscient de ce qu’il est et de ce qu’il représente. Et on a vu la force de ces résistances culturelles dans le calme et la dignité qu’ont montré les Français depuis qu’ils payent le prix du sang et se font traiter de racistes par ceux-là mêmes qui ensemencent les têtes de ceux qui nous tuent, par ceux-là mêmes qui travaillent à notre désarmement en faisant semblant de condamner les attentats en deux lignes pour mieux attaquer ce que nous sommes et victimiser les assassins que nous aurions nous-mêmes forgés… Le communiqué du CCIF (collectif contre l’Islamophobie en France) suite aux attentats de Nice est édifiant. Tandis qu’est expédié le passage obligé de la compassion aux familles, on retombe dans l’accusation de racisme d’Etat et la victimisation des musulmans, présentés comme les cibles de la vengeance de leurs compatriotes…

Et cela n’est ni une maladresse, ni un hasard: pour casser ces résistances, quoi de mieux que de semer le doute sur la justesse de ce qu’une Nation porte comme principes et idéaux. Le discours sur la discrimination tel qu’il est instrumentalisé par les alliés objectifs des islamistes, permet de déconstruire et d’empêcher le positionnement de l’Etat. C’est devenu un discours dans lequel l’ennemi est à la fois l’Etat et le peuple, le premier se définissant comme oppresseur et le second comme raciste, xénophobe et intolérant. On ne saurait mieux semer les germes de la guerre civile et ainsi renforcer les discriminations et le rejet en faisant semblant de les dénoncer.

Car cette discrimination et ce rejet, le CCIF, le PIR et l’UOIF l’appellent de leurs vœux et font en sorte, par leurs provocations de le susciter. La France est le nouveau spot de l’islamisme violent décomplexé. Lors des rassemblements dits musulmans qu’organise l’UOIF, ce que l’on fait de pire en matière de prédicateurs radicaux se voient dérouler le tapis rouge. Certains en appellent ouvertement au jihad dans leur pays, tous sont sexistes, antisémites, refusent nos libertés publiques et combattent la liberté d’expression. Mais à part une fois, à Lille, où grâce à la mobilisation de lanceurs d’alerte, les pires intervenants avaient été interdits d’entrée sur le territoire, le reste du temps il ne se passe rien et l’Etat répugne à affirmer ses prérogatives. Pourtant ce petit jeu est récurrent et les plateaux de l’UOIF montrent une constance admirable dans la diffusion des pires discours obscurantistes et des plus dangereux prédicateurs sectaires… Quant aux Maires, qui ont pourtant l’arme du trouble à l’ordre public ou de l’atteinte à la dignité humaine pour faire interdire une manifestation, ils en font rarement usage.

Ce qui aboutit à cette situation absurde où à Saint Denis, le maire, Didier Paillard autorise moins d’un mois après les attentats de Paris, un meeting du PIR, du CCIF et de Tariq Ramadan pour stigmatiser l’Etat d’urgence, mais réussit à faire interdire un meeting pour la laïcité en invoquant des risques de trouble à l’ordre public, parce que des islamistes auraient menacé de manifester… Ainsi parce que les laïques ne sont pas une menace, les islamistes et leurs alliés peuvent tenir n’importe quel discours haineux sans que nos autorités y trouvent rien à redire, mais comme les militants de l’Islam politiques sont considérés comme dangereux, les laïques et résistants se voient interdits de parole… Et ce n’est pas le monde à l’envers. C’est l’objectif visé par les islamistes. Cet objectif est malin qui décrédibilise la puissance publique, donne aux citoyens le sentiment de n’être pas protégés et démontre a contrario la puissance et l’habileté des islamistes. Ainsi le mélange entre instrumentalisation de la discrimination, exhibition de la puissance du mouvement et mise en scène de la faiblesse de notre représentation politique est leur meilleure arme de recrutement.

Aujourd’hui je vois mon pays se décomposer sous mes yeux et comme des millions de citoyens incrédules, j’assiste à la mauvaise comédie d’une classe politique incapable de porter et de défendre ce qu’elle est censée incarner. La pourtant résistible ascension de Marine Le Pen en témoigne: tous les partis dits républicains se battent en espérant être confrontés à elle au second tour, ce qui leur donne l’assurance de gagner. Aucun ne songe à aller chercher ces électeurs abstentionnistes, qui ne cessent de se multiplier et finissent par représenter la moitié du corps électoral… Et faute de ne jamais prendre leurs responsabilités, ils comptent sur les électeurs pour, eux, prendre les leurs et les reconduire à leurs postes pour qu’ils continuent à en abîmer la fonction… Ce n’est pas le front républicain que rejettent les électeurs, mais la rente de situation pour incapable que le processus tend à devenir. A tel point que le peuple regarde sidéré une classe politique qui semble ne maîtriser rien de ce qu’elle entreprend et joue avec les symboles de la Nation comme avec des allumettes…

La gestion de l’Etat d’urgence est un cas d’école. Ce n’est pas rien dans notre constitution que l’article 16 en matière d’ordre public et voilà que jamais la France n’a semblé autant en désordre ni si exposée… Le retour sur les attentats de novembre montre à quel point les déplacements des terroristes paraissent faciles voire facilités par nos propres lois, aveuglements et négligences. Et cela ne rassure personne. Bref, nos gouvernants parlent de guerre. Jamais ils n’ont semblé moins préparés à l’affronter et moins capables de se poser la question de l’adaptation nécessaire quand les circonstances deviennent exceptionnelles… Mais pendant que nous nous faisons peur avec des perspectives de guerre civile pourtant parfaitement évitable, nous ne luttons pas contre le délitement institutionnel qui pourtant en est le sas d’entrée. Ce délitement qui fait que trop de nos représentants ne savent plus défendre concrètement l’égalité entre les hommes et les femmes, la laïcité, ferment la bouche des lanceurs d’alerte pour complaire aux alliés des islamistes, n’incarnent plus ce que nous sommes et voulons continuer à être. Il est temps d’arrêter de fermer les yeux sur tous les coups de canifs portés à notre contrat social et de laisser, pour quelques euros de plus, l’Arabie saoudite ou le Qatar détruire ce que nous sommes en finançant des cinquièmes colonnes sur notre territoire.

Car la crise que nous subissons est moins économique que morale et institutionnelle.

Nous ne nous aimons plus en tant que pays, en tant que corps politique car nul n’a transmis ce qui fait la grandeur et la noblesse de la France, cet idéal d’intégration qui fonde la nationalité sur un geste d’adhésion à une vision de l’homme et à une vision du monde. A une vision de l’homme comme capable de se lier à l’autre parce qu’il le reconnaît comme son égal en humanité et en droits. Cette vision du monde comme bien commun des hommes fait de la politique une exigence spirituelle ; la transformer en terrain de jeu de la soif de domination au bénéfice de la rente électorale est une trahison démocratique.

Le sens du commun aujourd’hui est entre les mains du peuple.

Son sort se trouve entre les mains des résistants, qui, d’ici ou d’ailleurs, rappellent inlassablement que la faiblesse, les bons sentiments n’arrêtent ni les tueurs ni ceux qui ensemencent leurs esprits. Communier et dire notre souffrance collective de Nation en deuil ne suffit pas.

Nous, citoyens, nous savons quels sont les contours de notre monde commun: le refus de l’Etat de reconnaître les religions, l’égalité des citoyens devant la loi, le socle des libertés publiques et notre sécurité sociale, qui traduit en protection, concrète, la solidarité et la fraternité qui

nous unissent en tant que corps social et politique.
Bien sûr, nous sommes plus souvent qu’à notre tour en deçà de nos idéaux, mais c’est aussi le lot de notre humanité commune et ce qui lui donne sa dimension tragique. Mais à la fin, ceux qui portent chez nous les ferments de la haine, de la violence et de la guerre sont financés par des pays ou des organisations qui ont porté la misère sociale, l’effondrement intellectuel et les inégalités à leur paroxysme. Des pays que leurs habitants fuient. Le poids, l’omniprésence et l’omnipotence d’une religion qui soutient et légitime un patriarcat écrasant ne sont pas pour rien dans les retards de développement que connaissent ces pays et le poids de l’islamisme n’est pas pour rien dans les impasses politiques dans lesquelles ils sont plongés.

Alors que nous ne sommes plus assurés que nos représentants soient en mesure de défendre ce que nous sommes et que nous avions négligé d’assumer d’être, jamais nous n’avons ressenti aussi intimement l’esprit de notre pays, l’universalisme des Lumières comme l’humanisme de son projet qui veut que tout homme qui partage ses principes et ses idéaux, puisse devenir Français. L’inverse aussi doit être vrai: notre proposition d’intégration est généreuse mais ceux qui, comme les islamistes et les tenants de l’indigénisme, sèment l’apartheid, la soumission et la différence des droits n’ont pas leur place dans la communauté nationale. Face à leur impérialisme, nous n’avons ni à rougir ni à nous excuser d’être ce que nous sommes. Libre à eux d’aller dans des états où le dogme religieux fait la loi. Libre à nous de leur montrer la porte et de les y accompagner sans remord ni regret.

Aujourd’hui il n’est pas question de dire «ni droite ni gauche», mais «et droite et gauche». Aujourd’hui il est temps de hisser haut les valeurs républicaines. Ne faisons plus les délicats. Le clivage entre la gauche et la droite n’est plus qu’un prétexte paresseux dans notre vie politique. Car nous sommes en résistance.

Et leur sang rouge ruisselle / Même couleur même éclat / Celui qui croyait au ciel /
Celui qui n’y croyait pas / Il coule il coule il se mêle / À la terre qu’il aima /
Pour qu’à la saison nouvelle / Mûrisse un raisin muscat.

Je souhaite que nous évitions le sang. Sur notre sol il n’a que trop coulé, mais nous ne pourrons nous passer de la sueur et des larmes pour faire émerger la relève politique. Il y a des Churchill dans tous les pays, même quand les partis ne font monter que des Chamberlain…