Ce deuxième tour de la présidentielle de 2017 est surprenant : ce qui aurait dû être une marche vers le couronnement d’Emmanuel Macron – le résultat de l’élection semblant joué dès la fin du premier tour – se transforme en un révélateur de la fracture sociale et culturelle du pays, mais aussi du manque de sang-froid et de la violence qui sont en train d’imprégner toute expression politique. Cette fin de campagne promet donc d’être aussi sordide dans le présent que stérile pour l’avenir. Surtout si le candidat autour duquel le refus du FN doit se structurer n’affronte pas clairement les réticences qui s’expriment à son égard et laisse ses thuriféraires décréter que tout manque d’enthousiasme ne peut que révéler une porosité à l’égard des thèses de l’extrême-droite ou un aveuglement en face de la menace fasciste.
Or ces reproches permanents sont adressés même à ceux qui n’ont aucun mal à appeler à voter Macron, mais le font par devoir et sans conviction. Et même lorsqu’on fait ce choix en mettant à distance ses propres combats, on est encore cloué au pilori. Cela participe clairement de la difficulté à mobiliser.
Si au premier tour, on choisit. Au deuxième, on élimine. Et nous serons nombreux à utiliser le bulletin d’Emmanuel Macron pour éliminer Marine Le Pen.
Pour autant, nous ne sommes plus dans la configuration de 2002. L’abstention et le vote blanc s’annoncent élevés pour ce deuxième tour. Le sentiment des Français des classes moyennes et populaires de s’être fait voler l’élection – faute d’offre politique à laquelle ils auraient pu adhérer – est profond. Le ras-le-bol face à la succession de votes par défaut qu’ils sont obligés d’enchainer, nourrit un immense ressentiment envers la classe politique, à laquelle le candidat d’En Marche ! n’échappe pas. Il n’a jamais été élu, mais porte l’empreinte du sérail aux yeux de beaucoup de Français.
Le travail de terrain pour amener les électeurs à faire barrage au FN n’en est que plus difficile. Pour me livrer au quotidien à ce difficile exercice, voilà les 3 points-clés que je retiens :
Le FN n’est pas un parti comme les autres
- La liste des fondateurs du FN donne une idée de la genèse et de l’héritage de ce parti : anciens SS, Miliciens, collaborateurs patentés, négationnistes, membres du parti néofasciste Ordre Nouveau, le pedigree des fondateurs est instructif et explicite. Face au totalitarisme, ces gens ont choisi la collaboration, plutôt que la résistance et l’ont revendiquée. Peut-on vraiment croire qu’ils résisteront au totalitarisme islamiste ?
- Quand Marine le Pen va au bal à Vienne, en 2012 ce n’est pas pour inaugurer celui des débutantes, mais pour être l’invitée d’honneur du bal donné par les néo-nazis autrichiens. Un bal organisé le jour du 67ème anniversaire de la libération du camp de concentration d’Auschwitz.
- Le FN a toujours mené une lutte féroce contre la liberté d’expression et est le champion des procès intentés aux journaux. Il n’a jamais été et ne sera jamais Charlie. Encore un point qu’il partage avec les islamistes.
- Le FN n’est pas laïque. Il s’était opposé à la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école, mais surtout son argumentation sur la dimension « culturelle » des crèches dans les mairies, outre qu’elle est fausse, rejoint exactement l’argumentaire des islamistes qui dépouillent les signes religieux de leur dimension cultuelle pour mettre en avant la dimension culturelle et ainsi les imposer dans la sphère publique. Si le parti d’extrême-droite revendique la laïcité aujourd’hui, ce n’est pas pour préserver nos libertés et permettre l’émancipation, mais parce que vieux fond raciste oblige, ce n’est pas pour la faire vivre, mais pour siphonner des voix républicaines. Comme les islamistes, le FN est expert en double langage : il tient le discours que les gens ont envie d’entendre pour aller au-delà de son électorat traditionnel, mais ses véritables valeurs sont liées à un catholicisme intégriste, antisémite, lequel refuse la distinction sphère privée/sphère publique. Encore un point commun avec les islamistes.
Aux militants laïques qui doutent
- Creuser l’écart entre la candidate du FN et Emmanuel Macron, ce n’est pas donner plus de légitimité qu’il n’en a réellement au candidat d’En Marche ! , c’est surtout adresser une fin de non-recevoir au discours du CCIF, des indigènes de la république et autres partisans de l’islam politique. En effet, imaginez que Marine Le Pen soit élue ou qu’elle ne passe pas loin de la victoire : les islamistes auraient du grain à moudre et pourraient, avec quelques crédits, parler de racisme d’État et de société xénophobe.
- Que les militants laïques aient des doutes sur le rapport d’Emmanuel Macron à la laïcité, sur son rapport au régalien, est légitime. Ce doute s’exerce à raison. L’affaire Saou, ce référent départemental d’En Marche ! dont le discours politique était imprégné des éléments de langage liés à l’islam radical et dont le cas a été confié à un comité d’éthique dont on n’a plus de nouvelle depuis, a montré qu’en matière de lutte contre l’islamisme, le mouvement d’Emmanuel Macron était fort ambigu. Cependant :
– l’entrisme et le noyautage aujourd’hui sont partout et un jeune mouvement est une cible privilégiée car, dans les débuts le besoin de cadres intermédiaires est important et les outils du contrôle, rares.
– Avec un président n’appartenant pas aux extrêmes, nous aurons le droit de protester, de manifester, d’utiliser tous les outils de la démocratie pour le contester. Avec le FN c’est moins sûr. Rappelez-vous l’intrusion du service d’ordre du FN dans une chambre d’hôtel pour y tabasser en toute illégalité des femens qui manifestaient au balcon contre Marine Le Pen ? Des nervis, crâne rasé et rictus de haine au visage avaient ainsi forcés un lieu privé pour y déchainer leur violence, parce que les extrémistes ne respectent d’autres lois que leur bon plaisir ou l’expression de leurs contrariétés quand ils sont les plus forts.
– Pensez à ces élèves dont nous ont parlé beaucoup d’enseignants en zones sensibles. Pensez à ces enfants, issus des quartiers populaires, qui vivent la percée de Le Pen dans les sondages comme le signe d’un rejet profond de ce qu’ils sont et qui ont peur. Une peur basique, primaire, celle de voir leurs parents chassés, leur place dans la société refusée, celle d’affronter la violence, les quolibets et les humiliations du racisme ordinaire.
Aux soutiens d’EM : Aidez-nous à vous aider.
Ce qui se passe lors de cet entre-deux tours doit être difficile à vivre quand on est militant, engagé et que l’on constate la difficulté d’Emmanuel Macron à séduire au-delà d’un socle réduit. Le problème c’est qu’au lieu de se demander « pourquoi », alors même que dans la réponse à cette question se cachent tous les enjeux du quinquennat, les soutiens d’Emmanuel Macron ont choisi une forme d’arrogance qui les dessert, même si elle est probablement liée à l’injustice ressentie.
Il faut lire Christophe Guilluy et son analyse d’une élection présidentielle qui scelle un clivage entre les hyper-inclus, gagnants de la mondialisation et une classe moyenne et populaire entre déclassement, impossibilité d’accéder à l’ascenseur social et retour d’un certain mépris de classe. Il faut entendre la peur de ces Français qui ne savent plus ce qu’ils doivent transmettre à leurs enfants et qui se demandent comment les élever pour qu’ils ne soient pas désarmés face à un monde qu’ils anticipent violents, où les libertés ne seront pas assurées et où leur mode de vie sera détruit faute d’être défendu. Il faut mesurer la méfiance qui monte en face d’institutions qui paraissent plus contribuer à favoriser les héritiers qu’à permettre l’ascension sociale des méritants. Il faut mesurer la sidération qu’a laissé une campagne, où les questions de laïcité et celles liées à l’avancée de l’idéologie islamiste dans les quartiers et à la pression qui en découle sur les écoles, les hôpitaux, les entreprises, les syndicats, les partis, ont paru occulté par les candidats du camp républicain. L’enjeu d’une France réconciliée se jouera là plus que dans l’ode à l’entreprenariat individuel.
Or sur ces questions-là, le leader d’En Marche ! ne sait pas encore faire les gestes symboliques qui rassurent. Face à Marine Le Pen qui a su mettre en scène la démission de son président par intérim pour cause de négationnisme afin de nourrir sa stratégie de dédiabolisation, Emmanuel Macron peine à prendre des décisions quand son mouvement est confronté, dans certains territoires, à des tentatives d’investissement par des militants islamistes qui n’ont rien à envier au FN. Or ces militants radicalisés ont les moyens, à terme, de peser lourd dans l’appareil : en organisant un système de vases communicants avec les associations communautaristes qu’ils contrôlent ou fréquentent, ils multiplient rapidement les adhérents, deviennent ainsi incontournables et prennent le pouvoir.
Il faut comprendre enfin que l’usage intensif de l’expression « mais en même temps », pour pondérer toute affirmation politique, ne renvoie pas à une pensée complexe, mais à un refus de se positionner sur ce qui parait essentiel aux français. Ils ont suffisamment souffert de l’indécision et de manque de clarté de la parole politique sur le quinquennat précédent pour ne pas en redemander encore, même vendu sous le registre de la subtilité dialectique.
Quand les électeurs se sentent contraints, l’insulte et la culpabilisation sont insupportables et ne favorisent pas l’exercice de la raison. Surtout si le processus devient répétitif qui permet à des personnes en qui ils n’ont pas confiance de prendre ou de se maintenir au pouvoir, grâce à la menace FN. Cela pèse lourd dans l’atmosphère de ce second tour.
Le pire pour l’avenir serait alors de renouveler l’erreur de Chirac en 2002, croyant que victoire vaut adoubement et organisant le gouvernement autour d’un cercle de fidèles, sans se soucier des attentes profondes de la société. La crise politique que la France traverse n’est pas liée à un souci de casting, mais bien à l’indigence de la pensée et de la parole politique. C’est ce qui rend ce deuxième tour si tempétueux et c’est là-dessus que se jouera le quinquennat.
Cette tribune est parue sur le site de la revue des deux mondes le 2 mai 2017