Un lycée attaqué au mortier et pris d’assaut par «des jeunes», des jets de cocktail molotov et des fumigènes dans les couloirs et escaliers avec l’intention manifeste de mettre le feu à un établissement accueillant 1300 personnes. Voilà ce qui s’est passé au lycée Suger mardi 7 mars 2017. Suite à cette attaque, une centaine de jeunes ont marché en direction de la ville, «caillassé» des policiers, brûlé des poubelles et commis nombre de dégradations sur du mobilier urbain. 55 ont été arrêtés et placés en garde à vue et 8 mineurs ont comparu devant le juge. Jeudi, d’autres jeunes ont été interpellés aux abords du lycée Suger et d’autres établissements, ils étaient également munis de cocktails molotov et autres armes de jets diverses.
Pour autant le fait qu’un lycée soit attaqué au mortier ne semble pas déclencher l’indignation et la sidération que l’on attendrait. Après tout, on est en Seine-Saint-Denis et visiblement, prendre d’assaut un lycée, se promener avec des cocktails molotov et caillasser des policiers sont des activités qui ne suscitent plus l’étonnement. La ministre de l’éducation en est même arrivé à s’indigner de ce qu’en pleine campagne présidentielle, l’affaire fasse parler d’elle. Pourtant c’est bien le moins que nos candidats devraient faire que de se coltiner ce réel-là. Car il n’est sans doute pas le leur, mais c’est hélas bien le nôtre.
C’est ainsi que la sauvagerie et les techniques de guerilla urbaine que l’on voit à l’œuvre sur un territoire, dont on sait à quel point il est gangrené par le clientélisme, l’islamisme, le trafic de drogue, sont évacués au profit d’une lecture victimaire et larmoyante qui justifie n’importe quelle violence au nom de l’oppression subie: si de jeunes dyonisiens se comportent ainsi, c’est qu’ils sont avant tout des victimes. Ainsi selon un professeur mis en avant par un article des Inrockuptibles paru mercredi 8 mars: «Ces violences, c’est une réaction aux discriminations quotidiennes que subissent ces jeunes issus des quartiers populaires». Le tir d’explosifs et la tentative de transformer des lycéens en torches humaines doivent au plus vite être évacué pour débattre du seul sujet qui vaille: la transformation du voyou brutal, violent et bas de plafond en icône de la révolte des banlieues délaissées.
D’ailleurs, tout cela n’est-il pas soi-disant lié à l’affaire d’Aulnay-sous-Bois où sous prétexte de réclamer justice pour Théo, on voit l’alliance nouée entre les Indigènes de la république et les islamistes, accoucher du nouveau prêt-à-penser et à dire de ces semeurs de haine et de division: tout est prétexte pour mettre la république en accusation, hurler contre les violences policières et nier le fait que des actes graves, mettant en danger la vie d’autrui ont été commis. [/pullquote align=right]Tir de mortier, caillassage, jets de cocktails molotov ne sont pas des gestes anodins, même si à Saint- Denis, il semblerait que l’on en ait l’habitude: le professeur cité plus haut raconte ainsi: «Lundi déjà des élèves ont tenté de bloquer le lycée. Ils ont lancé des parpaings et des cocktails molotov dans l’établissement». Il faut dire que le lycée Suger n’en est pas à son premier incident.
En 2016 déjà, une grève des personnels avait éclaté suite à l’agression violente d’un surveillant, à cette occasion certains évoquent un climat dégradé depuis quelques années et des incidents récurrents. A l’époque, Aurélie Gigot, professeure d’anglais dans cet établissement, exprime pour France bleu sa désolation. «Ce surveillant était seul à la grille car nous manquons d’effectifs et il n’aurait pas dû l’être.» et revient sur le fait que «les logiques de territoire sont encore très prégnantes». Et c’est bien le message qui a été rappelé violemment au surveillant: «Ici, c’est chez nous».
Pourtant le lycée Suger est un établissement dédié en partie à l’image et au son, fréquenté par des élèves venus d’autres horizons. Construit dans le quartier sensible des Francs-Moisins souhaitait faire la démonstration que l’on pouvait pratiquer un enseignement de qualité dans un quartier réputé «sensible». Un pari politique généreux qui semble se heurter à la tradition de contrôle des territoires et à une gestion contestable par l’Education nationale de ce type de contexte. En effet, si avec la mise en garde à vue de 55 personnes, on ne peut dire que la réaction gouvernementale n’a pas été à la hauteur face à l’urgence, on peut s’interroger, en revanche, sur son efficacité dans la durée. La dégradation du climat dans ce lycée est attestée par nombre d’incidents, mais il ne semble pas que les mesures adéquates aient été prises. Les syndicats de l’établissement, dès l’agression de 2016, réclamaient plus de moyens face aux agressions constatées. Force est de constater que pour n’avoir pas su réagir en étant à la hauteur, le pari de mixité sociale et de revalorisation du quartier que portait ce lycée est en passe d’échouer, le nom de lycée Suger devenant associé à la violence urbaine.
Aujourd’hui, alors que la polémique s’éloigne de la réalité des faits pour se concentrer sur la victimisation du «jeune issu de quartiers populaires», s’interroger sur le rôle de la proviseur (fallait-il faire évacuer le lycée suite aux tentatives d’incendie ou garder tout le monde à l’intérieur) ou sur les violences policières (des jeunes qui n’avaient pas participé aux violences sont restés en garde à vue plus d’une journée), nul ne parle de l’angoisse profonde que ces scènes de violences déclenchent chez les Français. On a le sentiment que notre pays s’ensauvage aussi parce que ceux qui perdent toutes mesures sont confortés dans leur violence par une partie du discours émanant de l’institution. C’est ce professeur qui prend fait et cause pour des casseurs, oubliant que ses propres élèves et lui-même auraient pu périr dans l’incendie de leur établissement. C’est le même qui met en cause sévèrement la proviseure, lui reprochant d’avoir coupé les alarmes incendie, puis de trop miser sur le «tout sécuritaire» depuis septembre 2016. Des parents reprochent également à cette femme d’avoir «jeté les enfants dehors». La décision n’était pas simple: Fallait-il les garder et risquer de les voir périr dans les flammes si l’incendie se propageait, ou les évacuer au risque de les voir pris dans les affrontements qui se déroulaient entre les jeunes et la police ? Le jour où les directeurs d’établissement seront formés à la guérilla urbaine, ils sauront prendre les bonnes décisions.
En attendant, si nombre d’élèves juste suiveurs ou innocents sont restés en garde à vue, il ne leur est rien arrivé, ils ont été relâchés au terme de la procédure et ont regagné sans dommage autre que l’attente, leurs pénates. Je ne doute pas que ce passage a été pénible, mais cela n’a rien de dramatique non plus. En revanche, je pense aux parents qui doivent envoyer tous les matins leurs enfants dans un établissement où la violence est endémique au point que l’on en arrive à tirer au mortier ou à jeter des cocktails molotov et où nul n’est en mesure de garantir leur sécurité.
Que l’on puisse en parler ou s’en indigner, contrairement à ce que prétend Najat Vallaud-Belkacem, est légitime en campagne. Ce n’est pas souffler sur des braises que de se demander pourquoi, alors que ce lycée avait déjà fait l’objet d’attaques, les promesses de renfort en personnel n’ont pas été tenues ? Ce n’est pas indécent de se demander pourquoi les lieux de savoir sont attaqués et par qui ? Ce n’est pas inadmissible de se demander si le discours de victimisation et l’excuse permanente des discriminations, pour justifier des actes insoutenables et dangereux (attaque d’un lycée), n’accentuent pas encore plus le rejet de la population des quartiers et leur enfermement ? Ce n’est pas incohérent de se dire que si être proviseure dans certains endroits, c’est devoir maîtriser les techniques de guerilla urbaine, alors c’est que l’on exerce dans un territoire de non-droit et de peu d’avenir. En démocratie, en arriver là est plus que grave, c’est délétère.
Cette tribune a également été publiée sur le FigaroVox le 10 mars 2017