La sidération. C’est ce que ressent tout électeur normal face à cette Présidentielle.
En rassemblant une foule inattendue ce dimanche 5 mars, Fillon a fait une démonstration de force qui recrédibilise aux yeux de ses partisans, et même au-delà, sa décision de rester candidat. S’il a réussi à mettre en scène l’image d’un homme, attaqué par tout un système, trahi par les élus de son parti mais soutenu par une partie des électeurs de droite, il n’en reste pas moins que la défection de personnalités importantes, de beaucoup d’élus et de nombre de ses plus proches l’affaiblit. L’épée de Damoclès pèse moins sur sa nuque, mais elle reste bien suspendue au-dessus de son avenir.
Ce qui devait être un boulevard pour la droite, se transforme en chemin de croix. Mais si le discrédit moral de Fillon l’empêche de rassembler sa famille, on constate aussi que s’installe dans une partie de la population le sentiment d’un acharnement suspect et que le thème du complot politique prend de la crédibilité chez certains. Force est de constater également que les défections des élus sont plus vues comme une tentative de sauver leur siège et leur position, que comme un acte de courage et de probité face aux accusations portées contre François Fillon.
Il y a une vraie crainte, chez une partie des électeurs de la droite, d’être privés du choix, clairement exprimé lors de la primaire, d’avoir un candidat représentant la droite traditionnelle lors de la Présidentielle. Pour eux, Alain Juppé était trop proche d’un Emmanuel Macron pour répondre à cette attente. Dans les sondages cela se traduit par le basculement d’une frange de cet électorat sur Marine Le Pen dans l’hypothèse d’une élimination de François Fillon. Autre point fort de Fillon, ce qui a fait la différence lors de la primaire de droite reste aussi sa particularité lors de cette Présidentielle : il est le seul à regarder en face la menace islamiste et à parler de totalitarisme, donc à prendre et à dire la mesure de ce que nous affrontons. Et ce n’est pas pour rien s’il a terminé son intervention sur France 2 en employant ce terme de totalitarisme.
Il n’en reste pas moins qu’entre la fracturation de son camp, la prise de distance de Sarkozy, le sec rappel à l’ordre d’Alain Juppé et l’opprobre que le « Penelope Gate » suscite chez des français qui en ont assez de voir des politiques réclamer des sacrifices quand ils s’accordent des privilèges, le pari de François Fillon demeure périlleux et nous ne sommes pas à l’abri d’un énième rebondissement.
Du côté d’Emmanuel Macron, il y a également une fragilité institutionnelle. Le mouvement sur lequel il s’appuie est neuf, il ne consiste pas en une alliance de micros-partis en perte de vitesse, mais il n’a pas encore de consistance électorale. C’est la première fois qu’une Présidentielle joue un tel rôle de test pour un mouvement naissant et il y a là un risque d’ivresse, si son entourage interprète comme une adhésion à sa personne le fait que l’audace trouve ici sa récompense. L’ancien système est en train de mourir. Cela est riche d’opportunités pour les audacieux, mais ne suffit pas à faire un chemin pour la France ni un projet pour la société. Le pari d’Emmanuel Macron est certes intéressant, mais il reste impossible aujourd’hui de mesurer ce que cet élan pourrait traduire en terme de majorité législative. Jamais le jeu n’aura été si ouvert.
Pour l’instant, les deux candidats de gauche, Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon, n’arrivent pas à enclencher de dynamique et ne participent pas encore à l’empoignade. Il faut dire à leur décharge qu’il n’y a pas encore eu de campagne, alors que nous sommes à 6 semaines de l’élection. Et pas n’importe laquelle…
Et ce n’est pas comme si les deux dernières années n’avaient pas été traumatisantes pour le peuple français. Comme si nous ne traversions pas une crise politique, identitaire, sociale, et économique. Comme si jamais la confiance envers les politiques, la presse, les institutions n’avait été aussi basse. « Et dire qu’il va falloir compter sur eux », cette phrase d’une jeune femme qui faisait l’inventaire des choix qu’elle avait pour cette Présidentielle m’a marquée. Alors si cette phrase fait injustice à l’un d’entre eux, qu’il se révèle. En mai nous aurons un locataire à l’Elysée, mais aurons-nous un Président de la République pour autant ?
Nous sommes dans l’inédit, la fin d’un système. Les vieilles recettes de cuisine électorale ne marcheront pas. Car ce n’est pas tout de gagner une élection, encore faut-il que ce chemin soit le début de quelque chose. Alors si l’un des candidats a vraiment des choses à dire, si l’un d’entre-eux, voire plusieurs, décide de se montrer à la hauteur de la situation et de parler enfin à ses concitoyens, plutôt que de réciter un catéchisme qui ne remplit même plus les chapelles partisanes ; s’il se décide à affronter la réalité, au lieu de faire semblant de participer à une présidentielle normale, en pleine crise de système, alors peut-être aurions-nous moins ce sentiment d’assister à un cirque, dont les acteurs tournent le dos aux spectateurs. Alors que nous affrontons le terrorisme islamiste sur notre sol et que Marine Le Pen se rapproche du pouvoir, jamais les Français n’ont eu autant besoin d’être rassurés et de se sentir protégés et jamais leurs représentants politiques ne leur ont semblé plus éloignés des réalités, tributaires d’une vision irréaliste de l’état de leur société, de la situation des institutions, de la crispation des tensions dans la population…
Aujourd’hui, tandis que cette Présidentielle tourne au vaudeville, que les portes claquent, que le décor s’effondre, qu’un des acteurs principaux perd le fil, que nul ne sait autour de quelle ligne politique les Français se rassembleront, on se demande qui est le scénariste qui a pu imaginer un tel jeu de massacre et tant de rebondissements. Nous sommes sidérés, mais pour ce qu’il en est des candidats, il semble juste que le spectacle continue, les condamnations outrées de circonstances dites. Là où nous assistons à une crise démocratique, nos impétrants rejouent le match de 2012, juste plus tard dans le temps. Ils donnent l’impression que leur petit univers ne saurait être affecté, alors que nous, depuis Charlie, nous avons changé de monde.
Cela participe aussi de la sidération.
En mai, il faudra compter sur l’un d’entre eux. On attend encore qu’il se révèle, mais il n’est pas interdit de l’espérer.
Cette tribune est également parue dans Le Figaro le 6 mars 2017