Au micro de jean-Jacques Bourdin, ce 12 septembre 2017, la secrétaire d’Etat en charge de l’Egalité, Marlène Schiappa faisait sa rentrée. La jeune ministre est revenue à cette occasion sur le harcèlement de rue. Elle a sorti l’arme ultime, la martingale du politique quand il ne compte pas vraiment prendre en charge un problème mais qu’il veut faire croire qu’il est très concerné : la judiciarisation.
C’est ainsi que nous avons appris que le harcèlement de rue allait être verbalisé. L’idée peut paraitre bonne et nul ne nie qu’il soit insupportable de ne pouvoir se déplacer dans la rue sans subir remarques sexistes, frôlements déplaisants ou présence insistante. Le problème c’est que la question n’a pas été réfléchie sur le fond et la ministre renvoie donc aux parlementaires, le travail sur la caractérisation de l’infraction et aux calendes grecques, celui sur la preuve et la validité de la preuve. Peu importe la faisabilité, la question de l’efficacité ou la prise en compte du réel : l’urgence est de communiquer et la communication devient l’action. Le fait qu’il existe la possibilité d’une sanction est la preuve que le politique a agi, quand bien-même celle-ci se révèle impossible à mettre en œuvre. Pourtant il ne faut pas être grand clerc pour deviner que tout ceci ne réglera rien.
Illustration par l’exemple. Voici un extrait de l’échange Marlène Schiappa- Jean-Jacques Bourdin :
« MS : — Vous êtes dans le métro, vous êtes une femme, je suis un homme et je vous suis dans le métro. Vous descendez, je descends. Vous remontez dans un autre métro, je remonte. Je vous demande votre numéro de téléphone. Je vous redemande votre numéro de téléphone. Je vous re-redemande votre numéro de téléphone. Vous vous sentez oppressée ? C’est du harcèlement de rue.
JJB : — Mais qu’est-ce que je fais ?
MS : — Vous allez voir un policier, il verbalise et met une amende à la personne qui vous a harcelée, qui vous a suivie, qui vous a demandé votre numéro de téléphone avec insistance.
Or la situation ici décrite ne va pas être simple à caractériser juridiquement et les débats qu’elle devrait susciter promettent des douleurs au fondement à de nombreux diptères durant le travail parlementaire ou au sein des prétoires. Sans compter qu’au-delà de l’appréciation du contexte, la question de la preuve et de la validité de la preuve ne va pas être simple à régler. Tout ce bruit médiatique devrait donc se traduire en efficacité juridique réduite, voire franchement nulle. On n’est pas loin de la proposition d’élargissement des trottoirs pour lutter contre le sexisme au quotidien.
Et c’est là que le bât blesse. « Le harcèlement de rue » est une périphrase intéressante. Elle réussit à dénoncer un problème en faisant disparaître les cibles, car le harcèlement de rue, c’est avant tout le harcèlement « des femmes dans la rue », mais pas que… C’est surtout la question de la légitimité de la présence des femmes ailleurs que dans la sphère de l’intime, que ce soit dans la rue mais aussi dans l’espace symbolique du politique, de l’entreprise. La vraie question, celle que l’on n’ose pas aborder – derrière celle du retour décomplexé sur le devant de la scène de comportements déplacés, du refus de la présence des femmes dans les cafés ou de la contestation de leur présence dans l’espace public – c’est celle du retour en force d’une vision archaïque et inégalitaire de la femme, représentation liée au patriarcat et au prosélytisme de systèmes politico-religieux où la femme n’est pas l’égale de l’homme, où elle doit adopter un comportement conforme à son sexe, à sa fonction sociale et à son statut inférieur : effacé, pudique, en retrait.
Non que le sexisme ait totalement disparu en Europe comme en France. Là où l’égalité en droit des êtres humains à raison du partage d’une humanité commune, a été le fruit d’un long combat social et politique, cet obscurantisme n’a jamais été totalement éradiqué, mais du moins était-il devenu honteux. Du moins était-il combattu, raillé, vilipendé. Du moins l’idéal émancipateur de nos sociétés en faisait-il une survivance datée et ridicule. Du moins n’avait-il plus vocation à organiser les rapports sociaux et était-il sanctionné par la loi. C’était toute la société dans son organisation sociale, politique et intellectuelle qui portait haut l’égalité femmes/hommes et le droit des femmes.
Aujourd’hui on discute pour savoir si le refus d’accorder aux femmes l’égalité pour des motifs religieux n’est pas un habitus culturel qu’il faudrait prendre en compte, on baisse les yeux devant les voiles intégraux en disant : « comme cela au moins, elles pourront sortir de chez elles ». En oubliant que c’est ainsi donner droit de cité et grande visibilité à un signe qui signifie que la femme n’est pas l’égale de l’homme et est la propriété de sa communauté avant d’être un individu libre et autonome.
Ce qui est en cause aujourd’hui, c’est le retour de mentalités archaïques, réveillées par une idéologie islamiste conquérante, mais pas seulement. Outre que les autres religions s’engouffrent dans la brêche et remettent en cause également le droit des femmes (avortement, place de la femme dans la société), des mouvements racistes, comme le Parti des Indigènes de la République prônent aussi le retour à un rôle traditionnel de la femme, censée appartenir à sa « race » et à sa confession, donc vouée à se soumettre à une image traditionnelle, plutôt qu’à se construire en faisant usage de son libre arbitre. Une vision qui n’a rien à envier aux images d’Epinal d’une extrême-droite traditionnaliste où la femme n’est estimable qu’en tant qu’épouse et mère et ne se réalise que dans cette voie.
Ce dont nous avons besoin aujourd’hui c’est d’un discours clair et ferme contre la remise en cause de l’égalité femmes/hommes. Un discours qui n’évite pas les problèmes et affronte à bras le corps un prosélytisme religieux offensif, d’autant plus fort qu’il prend appui sur les inégalités réelles de droit entre hommes et femmes qui règnent dans la quasi-totalité des pays musulmans. Un modèle de société auxquels se référent beaucoup de jeunes élevés dans le mythe du bled et du pays d’origine fantasmé.
Nos sociétés ont hérité également de ces archaïsmes culturels et les droits des femmes en France sont encore récents, mais aujourd’hui c’est l’essor de l’Islam politique qui réactive ces clivages. La rupture de l’égalité entre femmes et hommes est un des fondamentaux de son combat et est au coeur du modèle de société qu’il propose.
Le combat que nous avons à mener n’est donc pas juridique, mais bien politique. Plutôt que de faire une loi pour expliquer que le harcèlement c’est mal, portons haut l’égalité femmes/hommes, en disant le réel, en marquant symboliquement ce qui n’est pas acceptable dans une société d’égalité et en s’attaquant au sexisme sur les lieux de travail : si le refus de serrer la main à une femme parce qu’elle est femme, ou de reprendre un poste derrière une femme était une cause de licenciement, cela ferait plus pour l’égalité femmes/hommes que la menace d’une verbalisation du harcèlement de rue.
Ce dont nous avons besoin c’est de réaffirmer que cette part de notre contrat social, qui fait tous les hommes égaux en droit, quels que soit leur sexe, leur couleur de peau, leur origine, leur confession, leur statut social n’est pas négociable et vaudra à ceux qui la refusent, un ostracisme social mérité et une mise à l’écart légitime. Ce dont nous avons besoin, c’est que ce discours parte et parle du réel : de la peur que génère le corps et la sexualité féminine, et ce dans quasiment toutes les sociétés. De ce qui se passe au sein des collèges et des lycées dans les rapports filles/garçons, de ce qui se passe dans les Cités et du contrôle social des femmes, de la honte de leur corps qui leur est inculqué au point que se multiplient les cas d’enfants très jeunes voilées. Ce dont nous avons besoin c’est de reparler aux femmes d’émancipation. Ce dont nous avons besoin c’est de rappeler qu’une différence n’a pas à se traduire en inégalité.
Prenons garde de ne pas renouveler l’erreur majeure que le pouvoir politique a commis avec la laïcité : ligoté par le juridisme limité de l’Observatoire de la laïcité, qui a réduit la notion à la loi de 1905 (où le mot n’est jamais cité), la laïcité en a perdu toute sa dimension politique, qui veut que la république n’ait pas à reconnaitre les cultes car elle est organisée sur d’autres bases : là où certains pensent qu’en se soumettant à des dogmes, ils organisent la société selon la volonté du divin, nous avons choisi d’utiliser la raison et nos capacités de création pour forger notre société. Or, en réduisant cette question éminemment politique à un débat d’ordre purement juridique, c’est la laïcité qui s’est perdue, la citoyenneté qui en a été affaiblie et les revendications religieuses qui se font de plus en plus entendre. Je crains que la judiciarisation à la petite semaine du harcèlement de rue ne finisse par rendre service à un sexisme de plus en plus décomplexé que nul ne parait soucieux de combattre à son juste niveau. Fausse réponse juridique et vraie démission politique, la verbalisation du harcèlement de rue n’est pas une solution mais un évitement : celui du nécessaire combat pour l’égalité.
Tribune également parue dans le Figarovox le 14 septembre 2017