« Nous ne défendons pas seulement un héritage, nous construisons un avenir. »

Une tribune pour rien ? 

Articles

J’ai mis du temps à réagir à la tribune parue dans Le Monde et co-signée par Catherine Deneuve, Catherine Millet, Brigitte Lahaie et d’autres sur le « droit d’importuner » parce que si je trouvais la tribune malheureuse, je n’ai jamais été à l’aise avec #balancetonporc.

Je trouve dommage que cette tribune, pas assez réfléchie, aboutisse à l’effet inverse que la plupart des signataires espéraient : poser la question de la place de la femme entre patriarcat et puritanisme et interroger ces drôles de féministes à la De Haas ou à la Autain, si promptes à tomber sur l’échine d’un Weinstein, mais prêtes à censurer la parole des femmes lors des viols de masse de Cologne. (cf l’article que j’ai publié dans Causeur.)

Sur la forme, on sent que cette tribune n’a pas été suffisamment réfléchie et que ses objectifs n’étaient pas clairs. Résultat : ses porte-paroles l’ont encore déconsidérées. La fragilité psychologique d’une Catherine Millet expliquant qu’elle aurait souhaité être violée pour prouver que l’on s’en remet et les mots malheureux sur le viol et la jouissance de Brigitte Lahaie (même si je crois ses larmes sincères et qu’elle n’a pas mesuré la portée de ce type de parole) ont permis de redorer le blason d’une Caroline de Haas ou d’une Clémentine Autain, qui ont pris la tête de la contre-offensive. J’ai déjà mentionné leurs discours hallucinants sur Cologne, rappelons-nous aussi le déni dont elles ont fait preuve lors de l’affaire de la Chapelle-Pajol. Bref cette tribune va surtout servir à rendre leur légitimité aux fausses féministes relativistes au détriment des universalistes. Je pense à la fin que l’on va tous y perdre collectivement.

Une tribune qui évite les vrais sujets

Il y avait pourtant des choses à dire sur la question de la libération de la parole des femmes, sur le risque de la victimisation quant à l’exercice des libertés (si la femme est ontologiquement une victime, elle va avoir besoin d’un homme pour la protéger. On sait où cela peut mener), voire même sur le rôle des femmes dans l’oppression des femmes.

Pourquoi museler les femmes au moment de Cologne, nier les viols et l’aspect organisé pour se déchainer sur Weinstein et « balance ton porc » deux ans après ?  L’indignation sur le viol dépendrait-elle de l’ethnie ou du statut social  ? On peut dénoncer l’homme occidental quant à son rapport aux femmes mais il faut se taire quand il s’agit d’un oriental  ? il y aurait viol et viol ? La question est pourtant essentielle.

En marge du #MeToo ou du #balancetonporc, on a vu refleurir les conseils de décence données aux femmes. Allant jusqu’au, « vous voyez qu’il faut vous voiler car les hommes ne savent pas se tenir », les pires religieux ont rebondi sur ce thème, ravis de faire des femmes des victimes à protéger. Sur cette question il eût fallu être précis : le discours sur la protection des femmes finit toujours par restreindre leurs libertés et on a vu cette sinistre pantomime se jouer. L’instrumentalisation de la libération de la parole des femmes devenant un argument pour justifier leur enfermement et la façon dont elles sont traitées dans certaines cultures.

Le #balancetonporc a aussi alimenté un bel argument relativiste : finalement les droits des femmes ne sont qu’un leurre, l’égalité femme/homme, une escroquerie. Orient, Occident tout se vaut et est équivalent. J’ai beaucoup entendu ce discours chez les alliés et collabos des islamistes : « vous voyez bien que votre soi-disant égalité femmes/hommes ne sert à rien et que la libération du corps des femmes les réduit à être des proies pour les hommes. Il en est de même dans les sociétés orientales comme occidentales. Autant arrêter l’hypocrisie et admettre que la femme doit être protégée parce que, vous le voyez bien, l’égalité et la liberté cela ne marche pas, le seul moyen de protéger les femmes c’est qu’elles apprennent à se tenir et qu’un homme veille sur elle. ». L’objectif est de faire passer les valeurs universalistes pour fausses et sous prétexte de protéger les femmes de justifier la contestation de l’égalité et de leur liberté. Surtout de faire croire qu’en matière d’oppression de la femme toutes les cultures se valent. Ce peut être dangereux à terme pour nos droits, mais jamais cela n’est abordé dans la tribune.

Les exemples donnés sont souvent malheureux, le coup du frotteur est particulièrement crispant. Quant au côté « pauvres hommes obligés de battre leur coulpe », il est également un peu urticant. Surtout on se demande où sont les hordes de dénonciatrices et les cohortes de dénoncés. Peu de noms ont été divulgués finalement et si le pauvre Tex a payé très cher une mauvaise blague (mais on dirait ici qu’il s’agit plus d’un règlement de compte utilisant comme prétexte le respect de la femme que du puritanisme), en général on a peu d’exemples d’hommes « détruits » par ces hashtag en France.

Il y a néanmoins des aspects intéressants dans la tribune mais souvent très mal amenés :

– Le fait que la liberté comporte des risques est vrai et le refus que la femme soit traitée comme un bébé phoque mériterait d’être entendu.

– le retour d’un certain puritanisme au nom de la protection des femmes n’est pas faux.

– la question de l’éducation des filles est essentielle et cela est rappelé fort justement.

A la fin il y a une question passée sous silence dans cette tribune qui voulait bousculer les tabous : c’est le rôle des femmes dans l’oppression des femmes, des mères dans le refus de libération des filles, le rôle ancestral des femmes comme gardienne des traditions qui en font des alliées du pire patriarcat parfois.

Bref cette tribune, eût pu être intéressante. Il y a parmi les signataires des femmes que je respecte mais hélas, telle quelle, elle est juste contreproductive et désarme une parole pourtant nécessaire. Car quand on parle avec les femmes, on se rend compte qu’il y a un vrai problème. Je n’en connais que très peu qui n’aient pas une histoire d’agression sexuelle à raconter. Et on ne parle même pas des frotteurs, eux cela fait longtemps que l’on fait avec. Pourtant même si en occident la société a progressé, même si nos libertés ne sont pas fictives, même si nous assumons notre corps et notre sexualité, il nous faut aussi réinvestir la question des rapports hommes/femmes sans tabou ni aveuglement. Pas sûr que cette tribune nous y aide.

&nbsp ;