« Ensemençons les têtes avec les mots de l’émancipation plutôt que ceux de la soumission. »

A propos des pétitions pro Raoult ou Montagnier, une mise au point.

Tribunes

Pourquoi je ne relayerai pas les demandes de soutiens, les pétitions en faveur de Raoult ou Montagnier et les accusations de « crime d’état » ? 

Je vois ces derniers temps, passer sur les réseaux sociaux les demandes de procès, de cour de justice de la république pour les ministres, de la haute Cour pour Emmanuel Macron, le tout assorti de commentaires où même des personnes intelligentes versent parfois dans le complotisme, imaginant que les autorités ont sciemment choisi de mettre en danger leur population. On me demande de relayer des pétitions en faveur de Didier Raoult ou du professeur Montagnier, car ne rien dire serait être complice, criminel ou vendu au gouvernement (en faisant semblant de ne pas l’être de surcroît ce qui attesterait d’une duplicité sans pareille). On parle sans discernement de « crime d’Etat », là où certaines hésitations sont liées à un manque de connaissances et d’informations fiables. Dieu sait que l’on ne peut m’accuser de nourrir à l’égard d’Emmanuel Macron, une affection irraisonnée, j’ai beaucoup de mal à ne pas avoir envie de le claquer en permanence, mais ces accusations parlent plus de justifier un désir de violence, qu’elles ne reposent sur des fondements réels. Je le dis donc très clairement, je ne relayerai pas ce genre de position.
Si je peux comprendre la colère, voire la partager parfois, la haine brute que je vois s’afficher souvent sans retenue est effrayante. Je vois de plus en plus de personnes considérer que la justice est là pour servir leur vengeance. A croire qu’imaginer le procès les retient de passer tout de suite à l’étape guillotine. Or au vu de nos peu de connaissances sur le virus, si on peut critiquer l’amateurisme et rêver de flanquer une raclée politique et une déculottée électorale à cet exécutif et à ses députés, les faire condamner en justice relève souvent du fantasme. La bêtise et l’incompétence sont certes dommageables, certains aspects peuvent faire l’objet de poursuites, mais tout cela ne relève pas de la trahison. Et bien si on rappelle ces simples évidences, même en disant que l’on est pour la sanction politique, cela déclenche des explosions de rage qui ressemblent à des bouffées délirantes mises par écrit.

Quelle est sur le fond ma position sur les assertions du professeur Montagnier ? 

Sur Luc Montagnier : l’homme est discrédité à juste titre car les faits ces derniers temps lui ont souvent donné tort. Là encore son acharnement à vouloir faire croire à un virus fabriqué par l’homme n’est pas crédible. il n’y a même pas de débat scientifique sur ce point, car pour le coup, il y a unanimité de la communauté scientifique pour dire qu’il n’a pas été créé par l’homme (ce qui ne dit rien sur le fait qu’il ait pu s’être échappé d’un laboratoire qui l’étudiait, ou pas).
Quand un homme pas fiable, qui a déjà versé dans le complotisme, recommence, ne pas diffuser ses thèses s’impose. Mais il semble qu’il y ait dans l’opinion, une trouble de jouissance à imaginer que les gouvernements ont voulu s’en prendre à leur propre population qui amène parfois à relayer sans discernement des thèses infondées. Cela n’augure rien de bon pour la suite. Quand on s’exonère de toute exigence de quête de vérité pour servir des représentations visant à faire passer tout hésitant pour un criminel et quand on confond manque de discernement et intentions perverses, on est soi-même mûr pour les procès de Moscou.

Sur Didier Raoult ? 

En fait ce qui m’étonne c’est que peu de monde prenne la peine de lire les études et d’étudier attentivement les discours. Raoult a un profil de gourou et une estime de soi à l’épreuve des balles, mais c’est le cas de beaucoup de médecins qui occupent des postes de pouvoir, c’est juste que la plupart sont bien plus policés. Son profil n’est pas si atypique. Malgré son look rebelle, c’est un homme de pouvoir.
Par ailleurs, l’homme est intelligent : si on lit attentivement ce qui est écrit dans les études de Raoult il ne parle jamais de guérison, mais de baisse de la charge virale. Ce qui est tout à fait différent. Et il laisse ses fans faire le reste et le désir de toute une population effrayée de trouver un remède miracle agir. Lui, en revanche, pèse sa parole et ce n’est pas un hasard. Si on l’accuse d’avoir vendu une fausse guérison ou des espoirs surdimensionnés, il pourra produire ses écrits pour s’inscrire en faux en disant que lui n’évoque dans ses travaux qu’une baisse de la charge virale. Or, si cette baisse de charge a un réel intérêt en matière de diminution de la contamination, qu’elle soit la martingale vers la guérison n’a rien de sûr. En attendant, si on l’accuse d’avoir fait naître trop d’espoir, il a de quoi se défendre factuellement.
Ensuite sans prendre position sur le traitement en soi, j’en suis bien incapable, il se trouve que le succès de Raoult vient du fait que la nature a horreur du vide et qu’il prospère sur le sentiment d’amateurisme et l’incohérence des réponses comme de la communication du gouvernement. Or face à ce sentiment d’être en face de personnes paumées et changeantes, Raoult s’est comporté en décideur et en leader. Face à l’inconnu et à l’absence de traitement, il a fait un choix, l’a fait partager à son équipe, a mis au point un protocole et à Marseille tout le monde s’est aligné derrière. Ils avaient un chef, qui endossait la responsabilité collective et leur donnait un protocole, cela a toujours permis de motiver et de mettre en action les gens et de les faire avancer ensemble. Dans ce cas, même si le choix n’est pas le meilleur, rien que cette émulation donne des résultats et met une ambiance particulière qui en général engendre des succès. Pas spectaculaires mais suffisants. En terme de gestion de crise c’est souvent ce qu’il faut : un chef de file dûment identifie, clair dans ses consignes et qui endosse la charge de la responsabilité collective pour que les autres n’aient qu’à se soucier de faire au mieux leur travail. Cela permet l’engagement et l’assurance des soignants dans leur travail. En revanche le côté « je suis le seul à savoir ce que je fais et je m’assoie sur tout ce qui n’est pas ma logique » est inquiétant, mais au coeur de la crise, c’est parfois ce qu’il faut… L’assurance du chef met en action et galvanise les troupes. c’est parfois aussi simple que cela.
C’est aussi ce que ressent confusément le grand public. Lui se comporte en chef de guerre et cela écrase les politiques qui se comportent en chef de bureau. Cela explique toutes les passions qu’il suscite et la haine que se renvoient sur les réseaux pro et anti Raoult. Si à la fin de la crise, à Marseille les taux de mortalité sont plus bas qu’ailleurs, cela peut aussi parler de cela en plus de la baisse de contagiosité.

Pourquoi la passion pour la chloroquine est très politique et comment Raoult a été érigé en figure de Gilet jaune de la médecine alors qu’il est un homme de pouvoir ? 

Didier Raoult joue très habilement d’une fausse légitimité de « Gilet jaune » de la médecine contre un establishment présenté comme criminel. Celle-ci lui a été conférée par ses fans au détriment de toute réalité, rejouant en plein Covid une opposition entre une base trahie et des élites qui voudraient, pour la museler, allait jusqu’à laisser un virus s’en prendre à elle, alors qu’ils empêcheraient un remède qui fonctionne d’être délivré. Or ce n’est pas le cas. Pire même, il laisse entendre que les essais cliniques se réduiraient à de la bureaucratie.

Les essais cliniques ne servent pas les intérêts de « Big Pharma », ils protègent au contraire les intérêts des patients face aux labos.

Si Didier Raoult laisse dire beaucoup de choses, lui reste souvent plus prudent que ses adeptes. Ainsi, ceux qui montent au front en son nom en arrivent à voir le refus de respect des protocoles comme une preuve d’indépendance face aux méchants laboratoires pharmaceutiques. Sauf que c’est faux : les essais cliniques visent tout le contraire, ils ont pour but de limiter le pouvoir des laboratoires pharmaceutiques qui, pour mettre un médicament sur le marché, doivent prouver par des essais cliniques à la fois leur innocuité et leur efficacité. Ce dispositif est le résultat d’une réflexion du début du XXème siècle pour lutter contre le charlatanisme. Il s’agissait d’empêcher les laboratoires pharmaceutiques de mettre n’importe quel médicament sur le marché, de protéger les patients et les médecins qui sont ainsi assurés que les médicaments mis sur le marché ont été régulièrement testés, qu’ils sont utiles et qu’ils n’ont pas un bénéfice risque défavorable. Réduire les délais est possible, mais pas en s’asseyant sur les droits des patients ou en donnant tout pouvoir à un homme qui ne rendrait de compte à personne.

L’inscription de l’hydrochloroquine sur la liste des substances vénéneuses vise seulement à réserver sa prescription sous contrôle médical.

Enfin, contrairement à ce qui est répandu ici ou là, Agnès Buzyn a fait en sorte que le dérivé de chloroquine soit placé dans la liste des substances vénéneuses (comme l’est la chloroquine depuis 1999), ce qui ne vise pas à l’interdire mais à la réserver à la seule prescription médicale. Là encore, nul complot mais beaucoup de méconnaissance et une rage de faire croire que toutes les personnes en responsabilité poursuivent en fait d’obscurs desseins.

Conclusion

Comme la plupart d’entre vous, j’attends des réponses claires face au dénuement tragique de nos hôpitaux, de nos EHPAD (avec au passage un questionnement sur ces gens qui font payer plus de 3500 euros par mois des EHPAD privés, dont j’aimerai avoir les statistiques de mortalité), face à notre incapacité à pouvoir produire masques, matériels, surblouses.
Comme la plupart d’entre vous je constate que les vrais premiers de cordée appartiennent à nos services publics que l’idéologie commune à nos dirigeants depuis 30 ans ont tant décriés.
Comme la plupart d’entre vous je pense que la question de la rémunération des vrais métiers utiles (soignants, instituteurs, professeurs, policiers, éboueurs, caissières, livreurs, agriculteurs…) ne doit pas être résolue par une prime mais par une réflexion sur un rééquilibrage cols blancs/cols bleus. Comme la plupart d’entre vous je me réjouis d’un retour de l’exigence de souveraineté, de réindustrialisation et d’arrêt d’une politique de concentration délétére de l’espace et du retour d’une réflexion sur l’aménagement du territoire.
Comme la plupart d’entre vous, je crois qu’il est temps de s’attaquer vraiment à la financiarisation de l’économie et de revendiquer avec fierté notre modèle social et culturel.
Mais la crise n’accouche pas mécaniquement d’un monde meilleur, il faut des personnes pour l’incarner au-delà des principes. Or là, je sens la violence monter, y compris chez des personnes intelligentes et éduquées et cela me fait peur.
Politiquement, ils n’émergent pas, alors que la rupture entre une grande partie des classes moyennes et populaires et le gouvernement d’Emmanuel Macron, voire sa personne, est actée. Or ce sont eux qui ont mené la guerre sanitaire sur le front, pas lui. Cette rupture avec le système politique ne date pas d’hier et alimente une forme de rejet de la démocratie et du vote, d’autant plus inquiétant qu’aujourd’hui du rejet on est passé à la haine. Imaginez que le déconfinement passé, tout pourra reprendre comme avant est illusoire et dangereux. Imaginez qu’il suffira de se replier sur un pré carré national, ne l’est pas moins. Certes il faut retrouver une souveraineté, mais reconstruire aussi des liens. Si l’Europe veut survivre, ce n’est certainement pas en continuant une politique de concurrence et de destruction des industries et services publics, ce n’est pas en méprisant l’existence des frontières et en voyant les différentes cultures et identités des pays qui la composent comme des références à dissoudre. Il va nous falloir grandir et renouer avec une exigence de vérité. Créer un gouvernement d’Union nationale n’est jamais chose facile, mais la gouvernance LREM est morte, le « Nouveau Monde » n’aura pas duré deux ans. Le problème est que cela incombe au président actuel qui concentre sur lui une haine irrationnelle et un agacement parfaitement justifié. La question est avons-nous encore des personnalités susceptibles de nous rassembler alors même que l’image du président est délibérément clivante. De la réponse qui sera apportée à cette question dépendra notre possibilité d’échapper à une réplique violente. Car si l’histoire nous a appris une chose, c’est que les « révolutions » qu’elles soient d’extrême-gauche ou d’extrême-droite, si elles idéalisent l’idée du peuple, le trouvent souvent fort décevant dans sa réalité. Par leur violence intrinsèque, elles sont toutes filles de Chronos : elles aiment à dévorer d’abord leur propres enfants