« Nous avons encore de belles choses à apporter au monde, tout un patrimoine à faire partager et un monde commun à reconstruire. »

Banlieue : le choix de la démagogie

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Mardi 22 mai 2018, Emmanuel Macron présentait son projet pour la banlieue. Au programme, derrière l’étrillage en règle de l’ancien monde symbolisée par l’humiliation essuyée par Jean-Louis Borloo et un discours moquant le peu d’effet de l’accumulation des plans précédents, le retour des vieilles recettes éculées de la gestion clientéliste. La soi-disant expertise des habitants étant en général le prétexte à une régression communautariste assumée. Le 22 mai, il n’y avait pas de plan pour la banlieue, juste une opération de communication, dont le vocabulaire choisi montre l’influence du discours centré sur la race, le rejet du blanc et le séparatisme social.  Une impasse qu’illustrent une sémantique raciale, l’absence de diagnostic convaincant et de propositions concrètes. On attendait le retour de l’Etat, on aura surtout assisté au triomphe de Yassine Bellatar. A travers lui, c’est le caïdat qui paradait en maître de cérémonie de la parole républicaine. Une bien mauvaise nouvelle pour les 6 millions d’habitants de ces territoires.

Pour la banlieue, pas de verticalité, pas d’idéal républicain, mais du populisme dans sa version la plus dangereuse : « ça n’aurait aucun sens que deux mâles blancs ne vivant pas dans ces quartiers s’échangent un rapport ». Réduire les personnes à leur couleur de peau et à leur sexe et leur accorder ou leur refuser, en fonction de cela, toute légitimité relève de la bêtise et pourtant voilà ce que devient dans la bouche d’un président de la République, un travail demandé à un ancien ministre. On est bien loin du protocole républicain, ni du minimum de tenue institutionnelle, à peine encore dans le périmètre de la politesse. A se demander pourquoi le premier a commandé un rapport au second, s’il estime n’avoir rien à apprendre et rien à attendre d’hommes qui ont fait pourtant leurs preuves sur le terrain, que ce soit en créant une entreprise ou en sauvant une ville en train de couler comme Jean-Louis Borloo sut le faire à Valenciennes. Que le rapport Borloo soit discutable et daté sur certaines recommandations est vrai, mais que dire de la « politique des grands frères » et des associations communautaristes que promet la fameuse expertise des habitants remise sur le tapis par Emmanuel Macron. Entre des propositions convenues et des orientations dangereuses, entre Borloo et Bellatar, un homme responsable et soucieux de ses concitoyens n’aurait jamais choisi le second.

Mais surtout cette pathétique expression des « deux mâles blancs » témoigne d’un populisme atterrant. Un rhinocéros et une souris peuvent être gris et mâle, cela ne dit pourtant rien de ce qu’ils sont et représentent réellement. Ce qui définit le rôle d’Emmanuel Macron, ce n’est ni son sexe ni sa couleur, c’est sa fonction. Ce qui donne de l’importance à sa parole, c’est qu’elle est censée être celle de la France, et non celle du représentant des mâles blancs. L’erreur de positionnement est terrible et témoigne d’une incompréhension de son statut et de ses obligations. Pourquoi désacraliser à ce point-là sa fonction quand on se pique de verticalité et d’autorité  ? 

Avec autant de mauvaises fées penchées sur son berceau, l’opération de communication présidentielle a accumulé les faux pas. Cela commence avec l’animation confiée à Yassine Bellatar. « Monsieur le Président, vu les faciès dans la salle, le buffet ne sera pas entamé pour cause de Ramadan avancé ». Et oui, pour ceux pour qui la couleur de peau donne l’identité d’une personne et définit ce qu’elle devrait être, sauf à se révéler traître à ses origines, banlieue = couleur de peau foncée = musulman. Une définition via l’ethnie et la religion qui oublie des phénomènes bien plus contrastés et homogénéise par une appartenance religieuse automatiquement attribuée, une réalité bien plus contrastée.

Ce n’est pourtant pas rien que le Président mette en avant dans une opération baptisé « une chance pour la France », un personnage au discours victimaire, agressif et irresponsable qui compare les jihadistes partis en Syrie à « des gamins qui foutent le bordel à un anniversaire » et pour qui faciès et religion définissent qui compte réellement en banlieue. Les autres n’existent pas. Il réussit même à placer le ramadan en introduction du discours présidentiel, juste parce que c’est un marqueur communautaire qui sera bien reçu par le public visé. C’est aussi une manière très claire de dire que ce discours ne s’adresse pas à tout le monde mais seulement à certains et qu’il ne considère les habitants des quartiers qu’à travers la pratique d’une religion particulière.

On est là au coeur du problème. Notre jeune président vit dans une France salami où il faut un discours par tranche d’électorat. Il n’éclaire que sa cible et a oublié que dans un spectacle, ceux qui voient le mieux, ce ne sont pas ceux qui reçoivent la lumière des projecteurs, mais ceux qui sont dans l’ombre. Et ce que l’ensemble des Français a vu a de quoi les inquiéter : un président qui par démagogie recycle une vision raciale portée par des individus qui instruisent en permanence le procès d’une France colonialiste et raciste et dressent les citoyens les uns contre les autres. Quelle faute  ! 

Autre sujet d’étonnement : là où le président de la République est l’archétype du technocrate, gouvernant avec des chiffres, faisant fi des hommes et des corps intermédiaires au nom de la nécessité des réformes, là où il se montre souvent très méprisant envers l’absence de mobilité des travailleurs, et bien dès qu’il s’agit des quartiers difficiles en banlieue, tout d’un coup l’expertise est chez les habitants et on ne tranche pas de tout du haut de ses compétences techniques. Dans le nouveau monde, d’habitude, on se gausse des corps intermédiaires et on détruit les protections et garanties pour « libérer les énergies ». Dans le nouveau monde, les premiers de cordée n’ouvrent pas le chemin, ils tranchent la corde qui les relient aux autres pour poursuivre seul leur ascension. Quand il s’agit de déréglementer, là le président incarne l’autorité de l’Etat, il impose et assume. Quand il s’agit d’écraser tout corps constitué en faisant semblant de ne pas voir que l’on participe, quand on le fait sans discernement, à l’ensauvagement total de l’économie, le pouvoir n’hésite pas alors à retrouver une hauteur de majesté.

En revanche, quand il s’agit de la banlieue, on croirait être dans une convention du parti socialiste où le racolage démagogique se fait en tout oubli des réalités, de l’histoire ou de l’expérience. Après sa saillie sur les mâles blancs, que le président accorde l’expertise au simple fait d’habiter sur un terrain est juste navrant. Comme si le simple fait d’être résident vous rendait apte à saisir ce qui se joue et à trouver la bonne distance pour l’analyser. La réalité va à l’encontre de ce schéma simpliste. Pour bon nombre de raison. Le faible niveau d’éducation, l’acculturation, les difficultés du quotidien n’aident pas à penser sa condition et enferment les personnes dans des discours formatés où ce qui est le plus récurrent est la victimisation et le rejet de la faute sur le premier autrui qui passe. La remise en cause est limitée quand on vit dans la précarité car l’effondrement intime est toujours à craindre. Ainsi l’échec scolaire, c’est la faute de l’école  ; le chômage, la faute de la société raciste  ; la violence, la faute de la police  ; la délinquance, la faute des promesses trahies de la République…

En revanche personne pour expliquer que dans ces zones de relégation sociale, la société et la République portent à bout de bras nombre de familles dont elles financent, entre HLM, RSA, CMU, AME, APL, allocations familiales et aides diverses, des sommes considérables pour aider à payer le logement, la santé, l’éducation des enfants… Le problème c’est que ces familles n’ont nulles idées des efforts que l’ensemble de la société consent, n’ont pas les moyens d’évaluer ce qui leur est donné et les considèrent comme un dû, non comme un des effets de notre contrat social. Or, il devient urgent de faire prendre conscience à ces personnes que cet argent que la société investit sur eux est aussi une marque de reconnaissance et d’appartenance : c’est parce que nous avons en commun un idéal et un projet que nous sommes liés les uns aux autres en tant que citoyen. Sans ce commun, pas de socle pour la solidarité et la protection n’est plus lié à un contrat social mais à la capacité financière personnelle de chacun, aux assurances privées qu’il est en mesure de payer. Dans une société qui se fonde sur la mise en avant de différences irréductibles, il n’y a pas de solidarité entre les citoyens, juste de la concurrence entre communautés constitués et l’on n’a rien en partage d’autre que des comptes à régler.

Avec la violence endémique de ces territoires, il n’y avait sans doute rien de plus urgent que de créer un conseil présidentiel où siègent les sympathisants et adeptes des discours basés sur « la police assassine » ou qui disent “assez le feu” tout en entretenant et en stimulant la frustration et la doléance victimaire qui pousse à prendre les allumettes. La vérité c’est que l’on ne résoudra pas le problème des quartiers de relégation sociale si on pense que la situation des habitants s’explique par le racisme et les discriminations. Non qu’il n’y en ait pas, mais le jeune homme brillantissime qui ne trouve pas de travail à hauteur de ses compétences parce qu’il n’a pas le bon nom, pas la bonne adresse et pas la bonne couleur reste une exception. Ce qui explique la non employabilité de beaucoup de jeunes en banlieue reste une question de niveau d’étude (44,3 % de la population vivant au sein des zones urbaines sensibles n’a aucun diplôme ou un niveau inférieur au BEP-CAP, contre 19,7 % des habitants des unités urbaines ayant une Zus) et de comportement. Manque d’éducation, difficulté à accepter la hiérarchie, incapacité à respecter des horaires, problèmes relationnels, violence endémique mais aussi montée des revendications religieuses et des attitudes sexistes dans certains cas expliquent bien plus facilement les réticences des entreprises qu’un climat de racisme. Cette mauvaise image, qui est loin d’être un cliché, bloque aussi l’ascension de jeunes méritants, mais ce n’est pas en faisant le procès de la République et en mettant en avant des personnalités dont le comportement ingérable et le discours accusatoire renforcent encore la mauvaise image des habitants, que la situation changera.

On est là également dans une forme d’imbécilité tranquille qui aboutit à théoriser que seuls les cancéreux peuvent soigner le cancer, les femmes s’intéresser à l’émancipation féminine, les esclaves, lutter contre l’esclavage… Historiquement c’est faux, c’est en changeant les mentalités de l’ensemble des êtres humains que l’on lutte contre l’esclavage, que l’on accorde l’égalité des droits au-delà des différences de sexe, de couleur. C’est en allant vers l’universel et en faisant partager les principes que l’on fait évoluer les situations particulières.

Ce show décalé a paru remettre les clés de la gestion des quartiers difficiles à ceux qui en font des zones de non-droit, alors que l’on était en droit d’attendre, après des années de démagogie, un réengagement de l’Etat. Ce qui est indispensable en banlieue, ce n’est pas de donner les clés de ces territoires aux associations communautaristes qui y fleurissent, c’est le retour de l’Etat, de l’ordre public, l’investissement sur l’éducation. Car les quartiers sensibles sont aussi des quartiers désertés. Là où les besoins sont les plus criants, la police est démunie, la justice, saturée, l’école, débordée, l’hôpital éloigné… En attendant cette séquence bien mal gérée a entaché la crédibilité du président et heurté nombre de citoyens, mais surtout elle a aggravé la fracture sociale et la sidération face à un président qui, alors que monte le séparatisme ethnique, parait donner des gages aux entrepreneurs du communautarisme, quand il faudrait au contraire redonner sens au monde commun.