« Nous avons encore de belles choses à apporter au monde, tout un patrimoine à faire partager et un monde commun à reconstruire. »

Etats généraux du PS : « encore un instant, monsieur le bourreau ! « 

Tribunes

Qu’attendre des Etats généraux du PS ? Pendant que certains espèrent que le recyclage de vieilles recettes leur permettront de sauver leur place, d’autres désespèrent de ne voir sortir de cet appel à contributions que les éternelles postures mi-chèvre mi-chou qui, sous couvert de bons sentiments, sont en train de dissoudre notre tissu politique. Une tribune ironique et décapante de Laurent Bouvet, professeur de sciences politiques, a été rédigée sous forme d’une contribution-type aux États généraux du PS, son titre dit tout de l’état d’indigence des débats au sein de notre parti : « Revenir aux fondamentaux de nos valeurs pour mieux faire société et pour un vrai vivre ensemble dans une diversité citoyenne et de progrès ».

Ce gloubi-boulga verbal, plus vrai que nature, explique mieux qu’un long discours l’impasse dans laquelle nous sommes enferrés. D’ores et déjà des tribunes appelant à dynamiter, révolutionner ou changer le logiciel du Parti socialiste sont sorties, sans que ne soit jamais cité ni exemple concret de point de tension, ni positionnement affirmé ni contenu fort.

Et pourtant… Chez les socialistes, il n’y a pas que des tensions liées aux choix économiques du gouvernement. Au demeurant, qu’on les combatte ou qu’on les promeuve, les lignes politiques sur ces questions sont affichées et permettent aux hommes de se positionner. Le problème c’est qu’aujourd’hui, les racines de nos clivages touchent aux fondamentaux de notre République, aux règles qui organisent la sphère publique selon un contrat social basé sur la solidarité et l’égalité. Ce qui est en jeu c’est l’existence même de ce monde commun qui permet l’action concertée. Nous ne sommes plus d’accord ni sur la laïcité, ni sur les questions d’égalité, notamment entre les hommes et les femmes, ni sur l’autorité, ni sur le rôle des institutions, ni sur la question de la loi.

Bref sur aucune des règles de base qui permettent à une société de définir des valeurs dont l’Etat doit assurer la mise en oeuvre dans la sphère sociale. Pire même, au plus haut niveau, trop de nos dirigeants n’ont ni culture historique ni regard philosophique, sociologique ou anthropologique sur leur pays, peu de liens profonds avec le substrat de la nation à laquelle ils sont censés appartenir et peu de compréhension des mentalités des peuples et des ressorts de l’âme humaine. Ils n’ont même pas l’intuition de l’existence d’une conscience collective.

Or dans le même temps, les tensions qui travaillent la société n’ont jamais été aussi fortes : la crise accroît les frustrations et les angoisses d’une population fragilisée tant sur le plan matériel que sur ses aspirations intellectuelles, artistiques, créatives ; les conditions de vie se durcissent ; les tensions du monde extérieur et la violence liée au regain de religions radicalisées inquiètent ; leurs retentissements sur notre territoire ne sont pas anodins (affaire Merah, Manif pour tous, menaces d’attentats, instrumentalisation de la cause palestinienne à des fins de déstabilisation interne, affaires Dieudonné et Soral, départ de jeunes pour rejoindre Daesh en Syrie…) .

Aujourd’hui, les valeurs qui permettent de se penser en tant que société unie et non comme une simple juxtaposition d’identités excluantes sont de plus en plus contestées. C’est là où l’on attend des politiques, des partis, l’expression de règles du jeu claires, une parole habitée et qui assume sa portée symbolique. Et l’on entend le plus souvent des prises de paroles peu inspirées, des propositions non suivies et un résultat qui abime ce qu’il était censé défendre.

Au triste feuilleton des « ABDC de l’égalité », à la palinodie des rythmes scolaires, et à la modulation des allocations familiales – décidées en trois jours au détour d’une crise de panique – s’ajoute l’incapacité à se taire et à assumer une décision collective, même au plus haut niveau de responsabilité… Or cette façon illisible de faire de la politique dissout les valeurs qui font d’un groupe humain, une nation et rompt les liens de solidarité entre ses membres.

Comment gouverner quand on ne sait plus au nom de quels principes on agit ? Comment s’adresser à un peuple quand on ne sait pas quelle société on veut construire ? Comment donner envie de partager un destin commun, quand on ne sait ni garantir ce qui est, ni faire partager ce qui pourrait être et encore moins penser ce qui vient ? 

La question du port voile est révélatrice de cet échec. Il y a une dichotomie entre les choix collectifs qui, dans notre République, font de l’égalité et de l’émancipation une valeur et les choix collectifs d’autres cultures qui font du refus de cette émancipation, voire de l’infériorité des individus selon leur sexe ou leur ethnie, des règles d’organisation de la société. Or nous sommes dans le déni de ces réalités-là, alors qu’elles travaillent le corps social jusqu’au point de rupture. L’ascension de Marine Le Pen et le succès du livre d’Eric Zemmour ne nous disent pas autre chose.

Le problème c’est que vouloir apporter une solution à des difficultés que l’on nie à longueur de discours n’aide pas vraiment à ce que les objectifs soient compris, partagés et défendus. Difficile de faire de la pédagogie quand on refuse de constater l’existence d’un problème. Là comme ailleurs, en politique, pour pouvoir agir sur les personnes et peser sur les choses, encore faut-il commencer par les connaitre et les reconnaitre.

Comme l’écrit le philosophe Etienne Tassin, commentant Hannah Arendt : « il existe certaines limites qu’on ne peut transgresser, limites fondatrices de la communauté humaine en raison desquelles la différence entre sens et non-sens est elle-même une différence sensée », tout en ajoutant que ces limites demeurent dans l’indétermination et que ce sont les hommes eux-mêmes qui les fixent en instituant une communauté fondée sur le sens de cette différence.

C’est exactement ce que nous avons perdu. Or sans la conscience d’un monde commun et d’une destinée commune, il n’y a pas de solidarité possible. Si l’action publique devient illisible, si les règles du jeu ne sont plus appliquées, alors il ne reste plus aux individus qu’à trouver une identité secondaire refuge, pour bénéficier d’une protection que l’Etat n’accorde plus et s’inscrire dans un projet qui donne le sentiment de permettre le lien avec l’autre. C’est le communautarisme contre la nation.

En attendant, une chose est sûre : Faute de soulever ces questions, les Etats généraux du PS ne risquent pas de les trancher. A la fin on demandera aux militants qui restent d’être pour le bien, contre le mal et pour la protection des licornes et on se donnera un peu de temps d’agonie supplémentaire avant les prochains étrillages électoraux…

Tribune parue dans le Huffington Post