« Exigeons de nos élus qu’ils fassent preuve de courage, qu’ils expriment et incarnent l’esprit de notre pays et de ses lois. »

Ni déni ni amalgame

Tribunes

Trois mots reviennent souvent dès que l’on évoque le massacre perpétré à Charlie Hebdo : « Pas d’amalgames !  » Je comprends cette nécessité mais une telle injonction ne sera possible que si elle ne s’opère pas au prix d’un déni.

Bien sûr que faire l’amalgame musulman égale terroriste serait un désastre, mais nier le fait que des courants obscurantistes exercent une pression de plus en plus forte sur la communauté musulmane, que ces courants gagnent du terrain, que certains jeunes et moins jeunes sont fascinés par la violence et la brutalité de Daesh et que leur rapport à la religion les amène à rejeter des éléments fondamentaux de notre contrat social (égalité femmes/hommes, laïcité, liberté d’expression) serait pire encore.

Nous avons un combat culturel à mener pour que les valeurs d’émancipation qui ont fait la France soient au cœur de notre contrat social. Pour cela il ne faudra pas se taire au nom de la peur des discriminations, mais faire de l’incarnation de ces valeurs, le trait d’union entre tous les Français, ce qui fait d’eux un peuple et non une simple compilation d’individus.

Elue en banlieue et dans une ville populaire, je tenais à écrire ce texte parce que de nombreux jeunes que je connais sont revenus choqués par le discours de leurs compagnons de classe ; des parents ont été troublés devant les propos tenus par certains élèves ; des enseignants en parlent, des responsables le signalent : Oui pour une partie non marginale de notre jeunesse, dans nos banlieues populaires, la condamnation du massacre de Charlie Hebdo est plus qu’ambiguë. On est clairement dans le « C’est pas bien mais ils l’ont bien cherché car ils ont insulté le prophète« . Et passées les 2 secondes accordées à la mémoire des victimes, le cœur du débat c’est la revendication de la condamnation du blasphème et donc la justification des meurtres. Pas moins…

Ce constat montre à quel point nous avons échoué à transmettre ce qui fait notre culture : l’émancipation, la liberté d’expression, l’esprit républicain…

En France, chacun a le droit de pratiquer la religion de son choix et nul ne doit l’en empêcher. Dans le même esprit, chacun a le droit de critiquer et de moquer toute religion, toute doctrine politique ou philosophique. « La liberté d’expression ne saurait donc être limitée par la liberté de croyance. La seule limite en ce domaine est le respect de l’ordre public, qui prohibe l’incitation à la haine, la discrimination, ou encore l’incitation à la violence à l’égard non pas d’une religion, mais des personnes qui la pratiquent. La nuance peut paraître subtile mais elle est fondamentale, c’est le citoyen que protège la république, pas sa croyance« . (Hubert Lesaffre, « En France le blasphème n’existe plus » Tribune du 18 septembre 2012)

Or, quand les tueurs sortant du journal disent « On a tué Charlie ! « , ils donnent leur véritable objectif : faire taire un journal qui refuse de se soumettre aux pressions intégristes et religieuses. C’est bien la liberté d’expression et la liberté de la presse que les assassins ont voulu abattre.

Ils ont voulu instaurer le meurtre comme réponse à un soi-disant blasphème. Or, chez nous, le blasphème n’existe pas dans la loi. La France s’est même battue pour cela, pour que l’ordre temporel soit prépondérant sur l’ordre spirituel. Quant à justifier l’assassinat au nom de l’injure ressentie c’est oublier que ce qui fait la force d’une démocratie, c’est que le meurtre n’est pas un moyen légitime et accepté de succession ou d’accession au pouvoir, pas plus qu’un moyen normal de gérer les difficultés relationnelles, les divergences d’opinion ou d’établir un rapport de force.

En cautionnant la légitimité du raisonnement des tueurs, c’est un meurtre symbolique que ces jeunes accomplissent. En trouvant des excuses à ces dérapages, en niant leur existence ou en refusant d’admettre que cela ne concerne malheureusement pas qu’une infime minorité de gamins, on laisse progresser la barbarie.

Or, aujourd’hui, nos élus locaux, parfois si engoncés dans leur clientélisme et souvent eux-mêmes peu au fait sur ces questions, auront-ils le courage de porter cette parole ? Surtout lorsque l’on sait que cela peut faire de vous une cible ? Faut-il laisser les enseignants se battre seuls sur des problématiques aussi dangereuses, alors qu’ils se font déjà souvent agresser par des élèves ou leurs parents sur des problèmes qui vont de la revendication du halal, du port du foulard à la difficulté d’enseigner la Shoah ? Mais sommes-nous encore capable de porter un discours intégrateur, émancipateur et exigeant ? En avons-nous encore la force, la volonté, le courage ? Assumerons nous le refus du relativisme pour porter les valeurs universelles de la promesse républicaine ? C’est là tout l’enjeu.

Les jeunes dont nous parlons ne sont pas marginaux dans nos banlieues, dans certains quartiers, ils donnent le ton, fixent les règles et dans certains établissements ils font déjà peser des pressions sur leurs camarades. De quoi se poser des questions sur ce que l’on est train de faire de l’école de la République si elle produit de tels décérébrés dont le seul rapport à la spiritualité réside dans la soumission absolue à une religion au point d’en affecter leur sensibilité et leur intelligence et de justifier le crime sur l’air du « Ils l’ont bien cherché« .

On peut regretter le refus des politiques de défendre autrement que par des postures de façade la laïcité. Rappelons la reculade des ABCD de l’égalité : face à la pression de lobbies intégristes, les politiques de tout bord ont rarement eu le courage de dire que l’égalité entre les hommes et les femmes n’était pas négociable et qu’elle s’inscrivait dans l’éducation dès le plus jeune âge. De ces lâchetés-là se nourrit aussi l’hydre islamiste.

Certes on peut (et on doit) s’interroger sur l’éducation que ces jeunes ont reçue, mais on doit malheureusement constater également que le discours politique émancipateur n’étant plus assumé par les représentants du peuple, il n’y avait guère de paroles fortes susceptibles de contre-balancer l’offensive religieuse…

En attendant, admettons quand-même que le visage que l’Islam présente au monde à de quoi faire peur. L’actualité d’ici et d’ailleurs est marquée par les meurtres, viols, violences et enlèvements commis en son nom. Les monstres qui essaiment à travers le monde, de Daesh à Boko Haram en passant par les frères Kouachi, s’en réclament ; ils fréquentent les mosquées et y ont souvent trouvé de quoi alimenter leur parcours de radicalisation, ils construisent leur modèle de vie en se réclamant d’une application stricte du Coran… Alors oui, on est en droit de se poser des questions sur l’islam.

En tout cas, il n’est ni irrationnel ni raciste que de s’interroger dans ce sens.

Alors justement, pour éviter les amalgames, ne soyons pas dans le déni. Pour éviter les amalgames, il faut combattre le discours de ces jeunes et probablement de leurs parents car ce sont ces comportements-là et ces mots-là qui suscitent les amalgames et le rejet, à raison car les racines du mal sont là. Et dans certaines parties de notre territoire, il va y avoir du boulot.

Tribune parue dans le Huffington Post