Même génération, même précocité, même physique attrayant, même maîtrise de soi, ce duel avait tout du duo, les deux protagonistes visant le même objectif : ne pas gâcher ses perspectives d’avenir en montrant trop ses crocs et ses ambitions. Aucun des deux n’avait en effet grand-chose à gagner en terme électoral dans cette confrontation, sauf à ce que l’un commette une faute majeure. Jordan Bardella sait que casser la dynamique qui le porte et inverser la situation grâce à un débat est impossible. Gabriel Attal le sait aussi, mais il est également conscient que l’on n’en veut jamais à celui qui fait le job quand tout le monde a compris que la table était impossible à renverser. A défaut de miracle, on lui reconnaitra le mérite de l’engagement.
Nos deux politiciens ont donc joué une partition connue et répétée, mis en scène des oppositions destinées à rassurer leurs électeurs respectifs et ont été à la fois attendus et ennuyeux. Il faut dire que le contrôle a un coût, celui de l’absence de moments forts, où la vérité d’un être ou d’une situation émerge. La seule chose qui semblait leur importer était de démontrer leur capacité à « connaitre leurs dossiers ». Résultat : on a assisté à une bagarre de chefs de bureau ministériel qui se poussaient du col. D’ailleurs ce débat ne laissera même pas une trace anecdotique en termes de bon mots ou de réplique foudroyante. La phrase de Gabriel Attal comparant le programme du RN à un Banco, « il y a plein de promesses mais quand on le gratte il n’y a rien derrière » pourrait tellement s’appliquer à Emmanuel Macron que l’on doute qu’elle laisse beaucoup des trace dans l’histoire médiatique.
Finalement celui qui va réveiller cette soirée terne et sans relief n’était pas invité à la table d’honneur. Relégué à l’arrière-cuisine, il a pourtant montré que le roi médiatique était nu et a démonté toute l’artificialité d’un débat qui n’aura prouvé qu’une seule chose : l’inféodation des journalistes du service public au pouvoir en place. Lui, c’est François-Xavier Bellamy, le seul gagnant de la confrontation. Il va réussir dans un temps très court à montrer la vacuité du spectacle que le premier ministre et le candidat du RN viennent de donner et le manque de rigueur et de déontologie de la chaîne. A la grande fureur de Caroline Roux qui s’est montré à cette occasion d’un mépris et d’une arrogance qui n’a fait que souligner la dignité du candidat LR comme la pertinence de ses propos.
Expliquant qu’il avait « hésité à venir », il a mis le doigt sur le fait que l’affiche Bardella/Attal était une mise en scène difficile à défendre dans le cadre des Européennes. En effet, elle évacuait la candidate officielle du parti au profit du premier ministre dans une forme de répétition générale de la mère de toutes les batailles : la Présidentielle. Cette manière de vider l’élection de son enjeu réel pour imposer une affiche artificielle est « le signe d’une crise démocratique profonde». Non content de l’affirmer avec une colère retenue qui renforçait encore le poids de sa parole, il l’a démontré par les questions qu’il a posé à l’animatrice : Comment avait-elle conçu son affiche ? Pourquoi reléguer les vrais candidats au second plan ? Est-ce-que ce sont les intentions de vote affichées qui conduisent les chaînes à choisir quels camps sont favorisés et quels camps sont relégués en deuxième partie de soirée ? Comment se fait-il que le premier ministre prenne la place de la candidate du camp présidentiel ? Pourquoi alors que les écarts entre la liste du président Macron et la liste menée par Raphaël Glucksmann sont minimes, celui-ci a-t-il été écarté du débat ?
Et le candidat de la droite de mettre les mots sur un sentiment que la plupart des Français partagent, l’impression qu’une fois de plus, la classe médiatique joue les faiseurs de roi sans avoir aucune légitimité pour. Or face à la pertinence de la diatribe de François-Xavier Bellamy et faute d’arguments, Caroline Roux tente l’argument d’autorité pour le faire taire : « Je pense que vous avez dit ce que vous avez à dire. Est-ce-que ça vous intéresse de parler de votre projet ? car c’est le happening permanent votre campagne ! Là vous êtes venus faire un happening, très bien, c’est fait, on a compris. » Le problème c’est qu’il est difficile d’être crédible en donneuse de leçon quand on vient juste de se faire mettre le nez dans ses déjections. Il parait que la meilleure défense, c’est l’attaque. Caroline Roux a prouvé que cela ne marche pas quand on s’arme d’un boomerang.
Il faut dire qu’à ce moment-là, c’est elle qui est dans la représentation outrancière et qui démontre par la violence de sa réaction, la justesse de la critique du candidat LR. Il venge aussi un peu les spectateurs que nous sommes, ravis de voir la maîtresse d’école un peu revêche se faire remettre à sa place par l’élève brillant qui, à cette occasion, révèle qu’il n’est pas dépourvu de caractère et de mordant. Bref les deux poids lourds se sont fait voler la vedette par l’outsider. Un scénario apprécié du public mais qui ne devrait rien changer au résultat de la course.