Il y a quelque chose de triste à constater que dernièrement, lorsqu’un politique de premier plan met des accents churchilliens dans un discours c’est en général pour mettre son ego en scène : cela ne l’engage plus. Quand il évoque avec des trémolos dans la voix l’intérêt supérieur de la nation, c’est pour à la fin obtenir des avantages personnels et partisans. Quand il veut prendre de la hauteur, c’est pour mieux regarder vers le bas. François Bayrou n’aura pas dérogé à cette règle. Et pourtant les enjeux de cette présidentielle sont lourds, les inquiétudes des Français face à leur avenir, profondes et l’absence de confiance envers ceux qui les représentent, massive. Le tout dans un contexte international de tensions ravivées et de multipolarité conflictuelle.
Sous le coup des assassinats politiques (décimer la rédaction d’un journal pour le faire taire), des massacres aveugles (Paris, Nice…) et des meurtres ciblés (policiers, chef d’entreprise, prêtre), la France a été touchée dans sa chair. Avec l’essor des mouvements islamistes qui alimente la montée du Front national, elle l’est aussi dans son esprit et dans la promesse d’avenir qu’elle représente. Nombre de citoyens ont peur que les principes et idéaux universels, laïques et républicains qui structurent notre monde politique soient en train de se déliter, plus parce que ceux qui en ont la charge ne les défendent pas que parce qu’ils sont attaqués.
En apparence, François Bayrou en est conscient puisqu’il affirme, dans sa déclaration annonçant son ralliement à Emmanuel Macron : « Je veux vous dire la gravité de la situation. Jamais, dans les cinquante dernières années, la démocratie en France n’a connu une situation aussi décomposée. » Mais sa prise de conscience se limite à une critique des autres candidats à la présidentielle. Certes la médiocrité des impétrants n’est pas rassurante, mais il y a d’autres causes qui menacent la démocratie et la république, et celles-ci ne seront jamais ni nommées, ni posées.
Déplorer les effets pour mieux en alimenter les causes
Pour donner à sa décision de rejoindre Emmanuel Macron, l’allure d’un noble sacrifice, François Bayrou est pourtant clair : les dangers qui menacent notre pays obligent au sacrifice des ambitions personnelles : « nous sommes dans une situation d’extrême risque et à cette situation exceptionnelle, je pense qu’il faut une réponse exceptionnelle, à la hauteur des périls qui menacent notre pays et notre Etat. Or j’en ai la conviction, la dispersion des propositions et des suffrages ne peut qu’aggraver ces périls. ». Or si l’extrême-droite ne cesse de se rapprocher du pouvoir et présente effectivement un risque réel, il fallait oser évacuer le contexte de la menace terroriste et du travail de déstabilisation des organisations liées à l’islam politique sur notre sol. Mais admettons qu’en période d’élection, seules comptent les organisations susceptibles d’installer leur leader à l’Elysée. Le réel est prié d’attendre la fin de la campagne.
Ce qui est plus grave, c’est qu’après avoir posé un tel impératif, après avoir construit son ralliement comme la preuve de son sens des responsabilités et de sa stature d’homme d’Etat, après avoir expliqué que ce ralliement n’irait pas sans exigences, lorsqu’on arrive dans le concret, on se rend compte que la vraie contrepartie demandée sert les intérêts de celui-là même qui est décrit comme le principal danger de ces élections : le Front national. En posant comme condition de son ralliement l’introduction de la proportionnelle aux Législatives, l’initiative Bayrou ne peut qu’être agréable à l’extrême-droite.
Ainsi, cette condition, dont on se demande si elle n’a pas pour vocation d’assurer l’avenir législatif de François Bayrou et de certains acteurs du Modem, va surtout permettre l’élection de bien plus de députés du Front National et prépare l’arrivée au parlement des partis communautaristes. Comme preuve du souci de l’intérêt général, on pourrait trouver mieux.
C’est paradoxal d’expliquer son « sacrifice » par la volonté d’éviter le « pire des risques, une flambée de l’extrême droite (…) » pour exiger une contrepartie qui va à l’encontre du bénéfice attendu.
Et si c’était aussi de cela dont souffrait notre démocratie : de la perte de sens et du sentiment de trahison que laisse l’emphase des discours quand il n’est que le masque de l’abandon de ses devoirs collectifs.