Au Canada, une institution scolaire a décidé de réaliser de grands autodafés de livres et les a mis fièrement sur internet afin d’exhiber sa vertu et son antiracisme. Le délire woke montre ici son revers fascisant : quand un ouvrage le contrarie, il le brûle. Une illustration de plus d’un mouvement qui veut incarner le bien et qui illustre de plus en plus l’adage, « qui veut faire l’ange, fait la bête ».
Le fait de brûler des livres est d’autant plus choquant que cette pratique fait référence dans notre histoire récente à l’Allemagne nazie qui brûlait dans des cérémonies officielles et collectives, les ouvrages d’auteur jugés « dégénérés ». Heinrich Heine disait à juste titre que l’on « commence par brûler des livres et on finit par brûler des hommes ». En tout cas cette démarche a toujours été effectuée dans le but d’intimider, de faire peur et d’utiliser cette forme de violence symbolique pour rallier un large public à ses idées. L’acte portant en lui la volonté d’éradiquer symboliquement les auteurs ou une forme de culture qui leur est rattachée, il indique en creux à quelle idéologie il faut se soumettre pour éviter de gros ennuis.
Ce geste, qui vise à désigner des coupables qui ne méritent que le bûcher, est présenté comme un acte de réconciliation avec les « autochtones ». Mais venant d’une institution catholique, il est en fait d’une hypocrisie sans nom. Les livres visés ne sont pas l’oeuvre d’auteurs canadiens ou d’ailleurs ayant cautionné une politique raciale violente qui a amené à ce que des milliers d’enfants indiens au Canada soient arrachés à leurs parents afin de « tuer l’indien en eux ». Car cet autodafé ne peut se comprendre sans savoir que dans un rapport de 2015, la commission de vérité et de réconciliation du Canada a établi qu’au XIXéme et XXéme siècle, l’Etat canadien a confié à des pensionnats gérés le plus souvent par l’Eglise catholique plus de 150 000 enfants indiens après les avoir soustraits par la force à leurs familles. Or sous l’effet des maladies, de la sous-nutrition, des sévices psychologiques et sexuels subis, elle estimait que près de 3 200 enfants autochtones étaient morts dans ces pensionnats « indiens ». Nombre de ceux ayant subi cette politique ont été détruits psychologiquement.
C’est ce contexte qui explique le choix spectaculaire de l’autodafé fait par le conseil scolaire catholique Providence. Que celui-ci ait voulu se racheter parait être à l’origine de ce choix douteux. Mais la méthode parait d’une stupidité et d’une condescendance sans nom. S’il y a un travail à faire, il est historique et demande à ce que l’institution catholique fasse un examen de conscience approfondi et s’interroge sur cette certitude d’avoir raison qui l’a amené à massacrer des enfants au nom d’une soi-disant volonté d’en faire des citoyens. Or ce que les woke canadiens ont choisi comme attitude s’assimile à dévier la balle. Autrement dit à faire porter la responsabilité de leurs actes sur des auteurs et des ouvrages de personnes qui n’ont jamais commis de telles atrocités et les auraient condamnées si elles les avaient connues. Sans doute certains livres ne sont-ils pas exempts de préjugés, mais ils sont le reflet de leur époque et les détruire ne changera pas le passé.
Pire même, les explications de la suspension de cet acte à la fois ridicule et violent de cet institution, montrent à quel point ces gens ne comprennent rien au mot même de réconciliation. On ne réconcilie pas en changeant de tête de turcs et en passant du racisme anti-indien à une forme de racisme anti-blanc et en réécrivant l’histoire pour faire comme si rien ne s’était passé et comme si la violence entre personnes de couleur de peau et de culture différente n’était liée qu’à la culture occidentale et épargnait par magie les autres organisations sociales. Reconnaître ses erreurs, ce n’est pas effacer les cultures au sein desquels elles ont été commises, sinon aucune société politique ne serait digne d’exister et toutes les religions devraient être abolies tant l’histoire des hommes et des civilisations, si elle recèle des moments exaltants, glorieux ou simplement humanistes, connait aussi ses heures sombres.
Pour justifier la mise en scène de ces autodafés, Lyne Cossette, porte-parole du conseil scolaire, expliquait que brûler des ouvrages au « contenu désuet et inapproprié » était un geste de « réconciliation avec les Premières Nations ». Pour justifier, après l’énorme scandale international qui a suivi, la décision de l’institution scolaire de suspendre ces actes, la même a expliqué que la femme à l’origine de ce choix n’était pas une authentique autochtone : « Nous n’étions pas au courant qu’elle n’a pas de statut d’Indien en vertu de la Loi et pensions sincèrement avoir la chance de travailler avec une femme autochtone possédant une grande expérience, (…) Nous pensions que son expérience saurait nous guider dans nos initiatives de réconciliation. Nous avons le regret de ne pas avoir fait des recherches plus approfondies à son sujet. »
On peut en conclure que sur le fond, réécrire l’histoire, effacer ce qui dérange, brûler des livres, déboulonner des statuts est tout à fait normal quand on est vu comme « autochtone », mais devient une ignominie si on ne peut s’afficher comme descendante d’une population assignée au statut de victime. Le fait d’appartenir à une ethnie particulière vous préserverait donc de toute stupidité et ferait de vous un phare intellectuel. La légitimité du choix d’une posture politique dépend de la couleur de peau d’une personne ou de ses origines. Cette vision-là du monde ne serait-elle pas raciste au sens premier du terme ? Tous les descendants d’amérindiens ne sont que des victimes ? Tous les blancs ne sont que des bourreaux ? Avec une telle vision de l’humanité, pas sûre qu’une réconciliation soit possible et que des rapports apaisés soient souhaités.
Or la plupart des canadiens sont horrifiés par ce qui a été fait et ne le cautionne pas. Le problème est que le racisme à la base de la création de ces pensionnats est aussi à la base de ces tentatives de réconciliation. Celles-ci enferment les êtres humains dans une vision des origines qui en font des salauds ou des victimes et leur ôtent toute possibilité d’accéder à la notion d’égalité comme de responsabilité. Les fausses excuses du CSC Providence et leur soumission à la culture du woke et de l’effacement montre que dans le fond l’institution n’a pas changé et se met à plat ventre devant l’idéologie la plus menaçante et la plus influente. Naguère ce fut un gouvernement canadien raciste, aujourd’hui c’est le même mais converti au wokisme. Si la logique de vengeance l’emportait et que l’humiliation des non-amérindiens devenait la forme de réparation exigée, gageons que ce type d’institutions et de personnes seraient en première ligne pour exécuter la sentence. Ils n’ont rien oublié et rien appris, ils changent juste de maîtres et de boucs émissaires pour rester toujours là où ils trouvent leur avantage.
Ce genre de personnes tue l’idéal humaniste qui pour trouver la justice cherche le dépassement et va vers l’égalité au nom de la reconnaissance d’une commune dignité humaine au-delà des couleurs de peau. cela implique l’usage du logos et de la raison et le choix de dépasser ces particularismes pour fonder une société politique commune basée sur des fondements philosophiques partagés. c’est en rabattre de soi, pour forger la loi qui nous dépasse et nous reconnait à la fois. ce n’est pas en brûlant des livres que l’on y arrive mais en utilisant la raison pour élever les hommes. On peut vivre ensemble sous le joug d’un tyran, pour faire nation commune, il faut avoir accès au dépassement de la tribu et de ses normes pour accéder à la loi. Avec des représentants éducatifs pareils, c’est la concurrence entre groupes ethniques et/ou religieux et la partition territoriale qui ne peut qu’advenir.