Retenue jeudi soir, j’ai regardé hier le premier et long débat de la primaire du PS et de ses supplétifs. Primaire de la gauche me parait franchement déplacée au vu du caractère consanguin des participants. Dans l’ensemble, il est au moins aussi soporifique que celui de la droite mais il aurait dû être bien plus créatif, vu qu’il s’exonère du réel.
Non que les propositions de la droite soient toutes réalistes mais elles s’inscrivent dans un contexte qui tient compte de l’état du monde et du pays, regardent en face les idéologies qui nous agressent, l’état de la dette publique, la fin de l’alignement de planètes au niveau international (forte baisse du pétrole, taux au plus bas, baisse de l’euro)…
Ainsi pendant qu’à droite, c’était le festival de l’austérité, ce qui avait au moins le mérite de la cohérence compte tenu de l’état de nos finances et du relèvement des taux bancaires comme du prix du pétrole ; pendant que Fillon en nommant clairement l’ennemi qui nous attaque, a mis la question de l’islamisme et du totalitarisme au cœur de la campagne ; à gauche on fait plutôt dans la lettre au père Noël.
En terme de crédibilité et d’incarnation, cela a des conséquences : le débat tourne souvent à vide, on a l’impression que le focus se fait sur l’accessoire au détriment de l’essentiel, on ne voit guère les lignes de force ni le chemin qui pourrait être tracé. Ni sens des réalités, ni souffle de l’utopie, on dirait un grand oral de nomination du responsable de l’intendance d’une grande entreprise.
Autre point remarquable : il ne s’est rien passé en 2015, ni en 2016. Et quand on parle de sécurité, aucun contexte n’est posé et surtout le mot tabou d’islamisme est évité et met du temps à être prononcé. Heureusement que Valls a eu le courage de le faire.
Là où nous, citoyens, avons changé de monde, les participants à cette Primaire eux semblent vivre dans un monde alternatif où les questions d’autorité de l’Etat sont annexes. Ils ne donnent pas l’impression de comprendre que la violence islamiste est aujourd’hui la toile de fond de notre nouvel univers politique. Quand un peuple a peur, quand il craint que son mode de vie ne finisse par disparaître faute d’être défendu, quand il se met à penser que la paix dans laquelle il a grandi, ne sera pas garantie pour ses enfants, il est en droit d’attendre que le contexte dans lequel il vit soit reconnu par ceux qui aspirent à le représenter. Or seul Valls a fini par poser clairement le problème pendant qu’Hamon, Peillon et Montebourg se montraient indigents sur la question.
De la première heure de débat, ne percera que la proposition du revenu universel. Une annonce qui place à son sommet la déconnexion d’avec la réalité : on aurait aimé comprendre comment mettre en place une mesure estimée à 400 milliards d’euros quand la totalité du budget de l’état est d’un peu plus de 400 milliards d’euros et celui de la sécurité sociale, de 470 milliards d’euros.
Cette séquence n’est pas sérieuse et laisse une impression de surréalisme, surtout quand la mesure, qui implique un changement total de société se fait sans qu’aucune vision de cette nouvelle organisation ne soit posée ni n’ait été pensée.
Non que de tels changements soient impossibles, après tout la sécurité sociale pouvait paraître une utopie impossible au début de XXeme siècle, mais là, balancés avec aussi peu de contenu réel et sans lui donner grand sens, le sentiment d’irresponsabilité domine.
Pourtant parce que cette question, utilisée comme gadget de communication change un peu dans des échanges marqués par la langue de bois, elle est retenue par l’ensemble des commentateurs, ce qui ne contribue pas à donner une impression de sérieux au débat.
Pour le reste, j’ai hélas souvent décroché et trouvé tout cela daté. Cela fait des années que le PS mouline les mêmes discours, avec les mêmes mots et les mêmes personnes. Une partie du débat aurait pu se dérouler en 2007 ou en 2012 tellement le logiciel intellectuel du parti est grippé.
Heureusement que Benhamias s’est dévoué pour faire le spectacle. À défaut d’être convaincant et d’avoir une vision, il était au moins vivant. C’était très drôle de l’entendre expliquer qu’il ne disait pas tout sur lui car son parcours parlait de lui-même (à propos de l’égalité femmes/hommes), il a juste oublié que personne, hors du microcosme qu’ils prennent tous pour un univers, ne sait vraiment qui il est. Une illustration par l’exemple d’un monde aussi narcissique que déconnecté dont il est loin d’être le pire representant.
Au terme de plus de deux heures de débat, j’ai l’impression d’avoir vu un remake de retour vers le futur en version sinistrose.
Au vu du spectacle donné hier, ce n’est pas gagné pour une présence au second tour de la présidentielle, et c’est une litote. Mais cette absence serait hélas justifiée si la gauche continue de tourner le dos au réel. Le changement se fait en partant du réel pas en le niant, le volontarisme n’a du sens que quand on ne vit pas sur des représentations périmées, des discours creux et moralisant et de propositions aussi rituelles que peu crédibles.
Mais j’irai cependant voter à cette primaire pour soutenir Manuel Valls. Ma priorité aujourd’hui est la défense de notre cadre républicain. Or celui-ci étant tributaire de la lucidité des élus face à l’islamisme, on ne peut que faire le constat que Manuel Valls reste le seul à être clair sur ces questions. Le seul à essayer d’incarner une gauche républicaine et lucide, même s’il pâtit de certains de ses soutiens affichés et d’avoir fait partie du gouvernement d’un Président qui n’a pas su se positionner avec courage pour défendre l’égalité femmes/hommes et la laïcité.
De cette lâcheté et de cet abandon de ce qui aurait dû être le premier devoir d’un politique mais à plus forte raison d’un président et d’un gouvernement, tous les candidats à cette primaire portent la tâche.