« Il nous faut plus que jamais faire le choix de l’humanisme. »

Regarde les têtes tomber

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C’est un peu « Regarde les têtes tomber ce soir » et le pire c’est que cela laisse peu de regret.
 
Il y a plus grave pour le parti au pouvoir que de se prendre la raclée du siècle : c’est le fait que lorsque cela arrive, tout le monde vous comptant déjà pour mort, la déflagration n’atteint même pas un niveau médiatique à la hauteur de l’événement qu’est l’ampleur du désaveu et la rapidité de l’effondrement. Dur de constater que la disparition d’un des acteurs majeurs de la scène politique est en train de passer inaperçue alors qu’une telle l’implosion d’un système politique est en soi un évènement exceptionnel.
 
Ce qui occupe tout l’espace, c’est le réussite d’En Marche. Et elle est tout aussi symbolique que l’élimination lapidaire du PS. Ce n’est plus une vague, c’est un tsunami qui laisse tous les commentateurs sidérés par la brutalité et l’importance du remplacement. Le président aura les moyens de sa politique. Sur ce point les français ont été cohérents. Ils jouent le jeu même si l’adhésion à l’homme et à la politique reste relative.
 
C’est là qu’intervient le troisième fait historique : l’abstention lors de ces Législatives est la plus importante de toute la Vème Republique. Plus de 50% des français ne sont pas hostiles au nouveau pouvoir mais restent dubitatifs. Et cela se comprend. La sanction infligée aux vieux partis leur apparait juste et méritée. Pour autant, l’ascension d’En Marche reste cependant plus une bulle spéculative que le résultat d’un travail de fond et aucune des tensions qui traversent notre société et notre pays n’ont été abordées réellement, pas plus lors de la Présidentielle que des Législatives. Pour l’instant la success story d’un homme n’a pas encore réveillé l’espoir et l’énergie d’une nation. La rencontre n’a pas encore eu lieu même si beaucoup de monde pense que le coup de foudre s’est produit. En revanche le transfert de pouvoir a, lui, bel et bien eu lieu, mais pour aller vers quoi ? Là est la question.
En attendant le débat électoral nous aura laissé sur notre faim. Hier soir, nous aurons beaucoup entendu parler de renouvellement, de reconstruction, de positionnement constructif, de participation éclairée… Mais jamais nous ne saurons vers quoi tend tout ce changement, tout ce renouveau, tout ce mouvement qui semble être à la fois le but et le chemin. Tout le monde est prêt à travailler ensemble en bonne intelligence. En tout cas le promet. La bonne volonté est devenu le radeau de la méduse de ceux qui assistent à l’effondrement d’un monde qu’ils ont contribué à pourrir de l’intérieur, c’était notable hier, au fur à mesure que tombaient les bastions et les barons, qui n’avaient su se tourner assez tôt vers le nouveau pouvoir.
 
Le problème c’est qu’on ne sait pas à quoi tout ce joli monde se rallie ni au nom de quoi ils pourront mettre leurs querelles et leurs différences de côté. Du projet concret censé transcender ces appartenances différentes au nom de l’intérêt général, de l’idéal qui inspire la démarche politique, on n’entendra jamais parler. Beaucoup de discours sur la méthode, un peu de pensée magique (faut avancer… etre optimiste… se mettre en marche…y croire…), mais peu de message sur la direction, l’objectif. Quelle est la promesse de monde que porte le pouvoir qui émerge sur les décombres de l’ancien ? Y en a t’il seulement une ? Où bien assiste-t-on au sacre des technocrates et à l’avènement de l’idée qu’avec du bon sens et une gestion maîtrisée, on gouverne un pays comme on manage une entreprise ? Je ne suis pas sûre que cela soit vrai pour l’entreprise, mais je suis certaine que cela est faux lorsqu’il s’agit d’incarner et de redresser une nation. Pour tracer un sillon droit, René Char conseillait d’accrocher sa charrue à une étoile, pas à un bilan d’activité.
 
Ceci dit, les urnes ont tranché, l’appel à la construction d’une digue d’opposition minimaliste montre quel point la défaite est profonde et un tel appel n’ayant jamais eu d’effet autre que marginal par le passé, nul doute que cela n’est qu’un chant du cygne. Le gouvernement aura donc les moyens d’opérer des changements effectifs, sans avoir rien d’autre à gérer que son succès. L’opposition est pour longtemps encore aux pelotes.
 
Nous ne tarderons donc pas à pouvoir juger sur pièces de la vision du monde qu’il porte et des résultats qu’il poursuit. Mais en tant que citoyenne, j’aurai néanmoins préféré savoir avant vers quoi tout cela nous entraîne, pour qui et pour quoi on sollicite mon vote. Le renouveau pour le renouveau ne m’intéresse pas: « être dans le vent est une ambition de feuille morte ». Sans vision partagée de l’avenir, le vote n’est plus un acte de citoyenneté mais un abandon de ses responsabilités : il se réduit à l’adoubement de pouvoirs successifs et ne traduit plus à travers ce processus complexe de délégation, la volonté des hommes de construire un monde commun et de choisir les lois qui les lieront et les protégeront.
 
Malgré l’ampleur de la victoire, le niveau de réserve que traduit l’abstention massive constatée montre que la situation reste instable. Si l’entourage du nouveau Président ne prend pas conscience que cette facilité à parvenir au pouvoir peut être aussi une fragilité, Jupiter risque de découvrir pourquoi Achille souffrait des talons.