« Nous n’entendons pas demander à un enseignant qui aujourd’hui ne travaille pas compte tenu de la fermeture des écoles, de traverser toute la France pour aller récolter des fraises » a déclaré Sibeth N’Diaye, à l’issue de conseil des ministres ce mercredi 25 mars, suite à l’appel du gouvernement de rejoindre « la grande armée de l’agriculture française ». L’exemple a fait scandale, blessant les professeurs qui essaient d’assurer, malgré la situation, la continuité pédagogique et poussant immédiatement la porte-parole à s’excuser. Mais le mal était fait. Or dans la période anxiogène et violente que nous traversons, tout accroc dans la communication suscite la défiance et le rejet, fracture l’union sacrée face au danger et sape l’autorité et la capacité d’action du pouvoir. Plus que jamais le manque de professionnalisme ; de sensibilité et de compétence peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la réception du message, l’acceptation des contraintes et l’adhésion aux mesures nécessaires. En cela l’accumulation de maladresses peut être à la fois dommageable et dangereuse.
En communication de crise, le principal problème est de rétablir la confiance entre l’émetteur et le récepteur du discours pour que le message soit entendu. Pour cela, un des fondamentaux est de faire taire le plus de personnes possibles : pour être maîtrisée quand la tempête est là, la communication doit reposer sur un nombre très restreint de personnes autorisées. La prise de parole doit être courte, simple, signifiante quand elle est informative, habitée si elle doit être empathique, solennelle quand elle doit être autoritaire. Comme ces personnes mises en avant seront très exposées, ce n’est pas sur leur capacité à faire des entrechats qu’il faut miser, mais sur la réalité de leur expérience, le poids de leur parole, la densité de leur personnalité et la confiance que doit inspirer leur tenue et retenue. Or ces derniers temps nombre d’erreurs sont commises qui desservent la perception du gouvernement et renvoient une image peu rassurante aux Français de leurs dirigeants, à commencer par les premiers d’entre eux.
Certes la phrase de la porte-parole était maladroite, mais si elle a fait tant de ravages c’est qu’elle entre en résonnance avec trop de paroles arrogantes qui ont ancré dans la tête des citoyens l’idée que le mépris de classe était la marque de fabrique du Nouveau Monde. « Les enseignant qui ne travaillent pas », ont ramené à la surface les « gaulois réfractaires » et « les fainéants », si peu chers au cœur du président de la République. Or ce mépris qu’expriment trop souvent certains ministres et le premier cercle d’Emmanuel Macron est au cœur non seulement de la fracture entre les Français et ce gouvernement mais aussi de la défiance qu’il suscite. La petite phrase d’Emmanuel Macron sur « ceux qui ne sont rien » prononcée au temps d’avant le coranavirus, prend une dimension sinistre à l’heure où on trie entre les malades, choisissant ceux que l’on pourra sauver et ceux que l’on sera forcé d’abandonner. Le malheureux n’y est pas pour grand-chose, nul n’avait anticipé le retour d’une telle pandémie dans notre siècle qui rêvait il y a peu de transhumanisme et de quête d’immortalité. Mais il y a des mémoires qu’il vaut mieux ne pas réveiller à l’heure où notre sentiment de responsabilité les uns vis-à-vis des autres nous demande d’accepter un confinement lourd et angoissant, sans que nous ne sachions vraiment comment et quand tout cela finira. Or pour nos soignants et nos malades, aujourd’hui dans la tourmente, il est indispensable que soient respectées les décisions que prend le gouvernement dans le but d’empêcher la saturation des services de réanimation.
Que l’exécutif navigue à vue n’est pas étonnant, Dans cette crise, on apprend à connaître l’ennemi en l’affrontant. En revanche que cela se voit à ce point est plus embarrassant, mais n’est pas étonnant : nos politiques ne savent plus quel est leur rôle et sont incapables de mettre en adéquation leur parole et les actes. Trop longtemps ils ont cru que la communication était une martingale : dire pour s’exonérer de faire. Trop longtemps ils ont cru qu’en faisant croire, on fabriquait du réel. Ainsi quand le président de la République dit que nous sommes en guerre, il semble que pour lui, simplement avoir prononcé le mot tienne lieu de bataille décisive. Or quand un homme politique affirme que nous sommes en guerre, on est en droit d’attendre qu’il ne commence pas par reculer immédiatement devant le mot confinement, par s’excuser d’interdire et par laisser toute une catégorie de population attiser les tensions par son comportement violent et irresponsable. Les imbéciles qui narguent dans les quartiers les autorités et crachent sur les policiers, seront les premiers à hurler au racisme d’Etat s’ils tombent en masse et à essayer de forcer l’entrée des hôpitaux. Cela fait maintenant quelques temps que l’on voit le scénario s’écrire, il serait peut-être temps pour une fois d’anticiper et d’appeler l’armée en renfort. Envoyer la police ne sert à rien. Pour les caïds, refuser de la respecter fait partie de la démonstration de leur pouvoir. Voilà pourquoi à un moment, en situation d’urgence on ne négocie plus. On agit. Il est étrange de voir ce jeune président s’entêter parfois à jouer au maître des horloges quand il faut être humble et à l’écoute, pour avoir la main qui tremble quand le peuple est prêt à jouer la carte de l’union sacrée au nom du malheur commun. Le risque étant qu’en alliant ainsi coups de menton verbaux et irrésolution dans la décision, le président ne finisse par fâcher tout le monde. Si Emmanuel Macron veut être un chef de guerre, qu’il en prenne la dimension, sinon qu’il en revienne à un discours moins exalté mais qui correspond aux actes qu’il est prêt à poser.
Il est important aussi de remettre de l’autorité et de la verticalité dans la mise en scène du pouvoir. A ce titre la dernière intervention d’Edouard Philippe, le 23 mars, était l’illustration parfaite de ce qu’il ne faut pas faire. Personne n’y a rien compris. Alors que les Français étaient préparés et attendaient le renforcement du confinement et sa probable prolongation, le premier ministre a été particulièrement flou, au point que tout le monde s’est demandé pourquoi il était venu prendre la parole au 20h. Or le fiasco vient d’une erreur stratégique, ce qui arrive, mais exprime aussi la difficulté de l’exécutif à prendre la mesure de la crise. L’erreur stratégique est basique : quand on pose un interdit, on reste sur l’interdit, on ne développe pas en passant plus de temps à expliquer comment le contourner et quelles dérogations peuvent être mises en place. Sinon non seulement le pouvoir abolit la notion d’interdit dans le même mouvement qu’il l’énonce, mais surtout il montre à quel point il n’est pas sûr de sa décision et de sa pertinence. Du coup, à peine énoncée, la décision est déjà contestée à la fois par ceux qui pensent qu’elle est trop inadaptée pour ramener l’ordre et ceux qui la qualifient de liberticide.
Or Emmanuel Macron a raison, nous sommes en guerre. Autrement dit dans une situation exceptionnelle et existentielle. Voilà pourquoi jamais la politique n’a été plus indispensable et jamais le politique, plus nécessaire. Que pour la gestion de l’épidémie, il s’appuie sur les recommandations d’un conseil scientifique, très bien. Mais une partie de la décision reste politique. Assurer l’achat et l’acheminement du matériel de protection que nous n’avions pas en stock est politique quand il s’agit d’équiper tous ceux qui en première ligne. Autoriser ou non en l’état actuel le traitement lié à la chloroquine est une question politique puisqu’elle n’est pas tranchée par la science pour le moment. Faire respecter le confinement car il en va de la maîtrise de la pandémie et de la protection des citoyens implique des décisions politiques lourdes. Organiser l’intendance de tout un pays si une majorité de personnes doit être confinée, c’est de la politique. Et la politique, en démocratie, n’a pas meilleure alliée que la confiance du peuple. Or selon le sondage du 24 mars sur le moral des Français, seuls 41 % d’entre eux ont confiance dans la manière dont le gouvernement gère la crise. Ce n’est pas un atout dans la lutte contre l’épidémie.
Aussi, s’il est bien sûr temps d’évacuer de la scène les acteurs non indispensables et qui accumulent les erreurs, il faut aussi que notre président et notre premier ministre incarnent dans leur chair ce que le pays traverse. Jamais ils ne doivent prendre la parole sans que l’on ne sente dans leurs yeux, leurs gestes et leur verbe, qu’ils portent la douleur des familles qui ont vu mourir un de leurs proches loin d’eux et qui se demanderont toujours si avec plus de respirateurs, l’histoire eût pu être différente. Il faut que les Français entendent dans leur parole la reconnaissance du sacrifice des soignants et de l’angoisse des malades. C’est parce que le ministre de la santé parvient à le faire qu’il est épargné par les critiques. Qu’Emmanuel Macron et Edouard Philippe s’élèvent à la hauteur du tragique, l’intériorisent et ils ne feront plus de communication, enfin ils parleront au peuple.
Article également paru dans Le Figaro le 27 mars 2020