« Il nous faut choisir à présent la fermeté et l’affirmation. »

Denis Mukwege, ce héros

Tribunes
Certaines personnes ne sont pas nées pour rien. Elles sont une des voix de la conscience humaine, de celles qui nous rappellent que parfois l’impuissance n’est que le mot des lâches et des cyniques pour faire passer le manque de volonté pour de l’impossibilité. Mais cet homme n’est pas qu’une voix. Il est une volonté à l’oeuvre. Il agit. Et lui nous montre que changer son environnement est à la portée des belles âmes et des grands hommes et qu’être un héros n’est pas une question de force, de chance ou d’adresse, c’est surtout une question de choix. Le courage est une démarche consciente qui engage notre libre arbitre, et si un homme a du courage et de la détermination, c’est bien lui.
 
Lui, c’est Denis Mukwege, l’hommes qui « répare » les femmes. Ce médecin gynécologue, qui lutte contre les violences sexuelles et l’utilisation du viol comme arme de guerre, dénonce aussi un gouvernement et des politiques congolais où pouvoir rime avec violences et impunité. Nous nous plaignons de la dérive de nos dirigeants, oubliant que nous sommes encore protégés par un Etat de droit, un niveau d’éducation et de culture correct, des principes et idéaux en train de s’effacer mais encore actifs pour une partie de la population. Au Congo, cela n’est pas le cas et ne l’a jamais été. Là-bas le pouvoir, c’est celui de la curée. Là-bas, comme dans beaucoup d’autres endroits du globe, le pouvoir n’est désirable que parce qu’il peut faire de vous un prédateur, qui jamais n’a à répondre de ses actes, parce qu’il met tout à portée de votre appétit et qu’aucun frein n’existe à la dévastation autre que les ravages des autres prédateurs. Ils ne connaissent que la barbarie, la peur, le sang et la mort et ils n’ont que cela à offrir. Aujourd’hui, le nom de l’écorcheur qui a atteint le sommet de la chaîne alimentaire congolaise est Joseph Kabila. Demain si rien ne change, il portera un autre nom, gavera d’autres courtisans mais rien ne sera différent pour le pays ni ses habitants. A moins que le peuple ne se relève. Certes le chemin est encore long, c’est sans doute pour cela que Denis Mukwege a choisi de commencer à le tracer.
 
« Ce ne sont pas seulement les auteurs de violences qui sont responsables de leurs crimes, mais aussi ceux qui choisissent de détourner le regard », a-t’il dit également après avoir reçu le prix Nobel de la paix à Oslo lundi. Mais la communauté internationale est douée pour garder les yeux obstinément clos. Ainsi, pendant que le pseudo conseil des droits de l’homme de l’ONU accueille à bras ouvert l’Arabie saoudite et poursuit la France à cause de l’interdiction de la Burka, le rapport sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés au Congo, a été enterré bien profond (voir lien pour consulter ce rapport après l’extrait de la dépêche AFP) par le Haut commissariat de cette même ONU…
 
En attendant, Denis Mukwege rappelle ce travail mené et le fait que l’on connait précisément les tortures infligées à la population comme les auteurs des crimes. Il appelle à agir sur la base des recommandations de ce rapport. A l’écouter, le désespoir gagne. Lui comme nous savons pertinemment que personne ne déterrera ce rapport et que Joseph Kabila et ses nervis continueront à commettre ces crimes en toute impunité.
 
Seules les démocraties se soucient de l’opinion publique. La force des états barbares, c’est non seulement de s’en moquer mais de la défier pour montrer que cela ne compte pas, que seuls les faibles se soucient de décence. Le fort, lui s’impose et quand on est vraiment fort, c’est le mal qu’on impose, car alors la seule loi possible sera le caprice du Prince, le seul repère son désir. Le vrai pouvoir du dictateur, c’est d’imposer son bon plaisir au delà de l’humanité, de la décence et de la morale. Il n’est vraiment fort que lorsqu’il peut se vanter de faire le mal en pleine conscience, assumer de jouir de sa domination et démontrer que la violence fait de vous un interlocuteur digne de faire partie des grands de ce monde. Grâce au meurtre et à l’exploitation, il est possible d’avoir sa place à la table des puissants. Faire du mal à sa population et se vautrer dans le crime de sang a ceci de paradoxal qu’un tel comportement offre une immunité quasi-totale au pouvoir, voir crée une forme d’obséquiosité et de « respect ». Comme si la capacité à tuer et le fait de le faire accepter comme une donnée par tous ses interlocuteurs revêtait d’une aura particulière celui qui l’exerçait. Un manteau de violence qui donne une légitimité dans les relations internationales. Le méchant fascine, sa population victime, moins. La terre boit le sang mais continue à porter le guerrier. Alors à tous et toutes ses anonymes qui ont souffert, sont morts, se sont battus et se battent encore, Denis Mukwege rend un visage, une histoire. Ecoutez-le et jamais vous n’oublierez Sarah.
 
1. Depêche AFP :
« Bébés, filles, jeunes femmes, mères, grands-mères, et aussi les hommes et les garçons, violés de façon cruelle, souvent en public et en collectif, en insérant du plastique brûlant ou en introduisant des objets contondants dans leurs parties génitales. » Le Congolais Denis Mukwege, qui a reçu le prix Nobel de la Paix lundi 10 décembre à Oslo, a interpellé la communauté internationale et réclamé la fin de l’impunité pour les auteurs de violences sexuelles en temps de guerre.
Le gynécologue de 63 ans recevait le prix aux côtés de l’Irakienne de 25 ans Nadia Murad, ex-esclave des jihadistes devenue porte-drapeau de sa minorité. La présidente du comité Nobel, Berit Reiss-Andersen, a salué « deux des voix les plus puissantes au monde aujourd’hui » contre l’oppression des femmes.
 
Surnommé « l’homme qui répare les femmes », le médecin soigne depuis deux décennies les victimes de violences sexuelles dans son hôpital de Panzi, dans l’est de la République démocratique du Congo (RD Congo), région déchirée par des violences chroniques.
 
« Ce ne sont pas seulement les auteurs de violences qui sont responsables de leurs crimes, mais aussi ceux qui choisissent de détourner le regard », a affirmé Denis Mukwege dans sa prise de parole de remerciement. « S’il faut faire la guerre, c’est la guerre contre l’indifférence qui ronge nos sociétés. »
 
Denis Mukwege a aussi déploré que le sort de la population congolaise passe au second plan derrière l’exploitation sauvage des matières premières. « Mon pays est systématiquement pillé avec la complicité des gens qui prétendent être nos dirigeants », a-t-il affirmé. « Pillé aux dépens de millions d’hommes, de femmes et d’enfants innocents abandonnés dans une misère extrême, tandis que les bénéfices de nos minerais finissent sur les comptes opaques d’une oligarchie prédatrice. » Dans des propos aux accents politiques à l’approche d’élections prévues le 23 décembre en RD Congo, ce critique du régime du président Joseph Kabila a dit voir « les conséquences déchirantes de la mauvaise gouvernance ».
 
2. https://www.ohchr.org/documents/countries/cd/drc_mapping_report_final_fr.pdf
 
« Le rapport de mapping de l’ONU a été élaboré par le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et décrit les violations les plus graves des droits humains et du droit international humanitaire commises en République démocratique du Congo (RDC) entre mars 1993 et juin 2003. Il s’agit d’un document dense et détaillé, basé sur des recherches extensives et rigoureuses effectuées par une équipe d’une vingtaine de professionnels congolais et internationaux en matière de droits humains sur une période de 12 mois. Le rapport examine 617 des incidents les plus graves survenus dans tout le Congo sur une période de 10 ans et fournit des détails sur des cas graves de massacres, de violence sexuelle et d’attaques contre des enfants, ainsi que d’autres exactions commises par une série d’acteurs armés, notamment des armées étrangères, des groupes rebelles et des forces du gouvernement congolais.
 
Le rapport indique que les femmes et les enfants ont été les principales victimes de la plupart des actes de violence recensés par l’équipe. Afin de « refléter comme il convient l’ampleur de ces actes de violence commis par tous les groupes armés » contre les personnes les plus vulnérables, le rapport consacre des chapitres spécifiques aux crimes de violence sexuelle contre les femmes et les filles, ainsi qu’aux violences contre les enfants. Il consacre également un chapitre au rôle joué par l’exploitation des ressources naturelles par rapport aux crimes commis au Congo.
 
Le rapport conclut que la majorité des crimes documentés peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. »