« Exigeons de nos élus qu’ils fassent preuve de courage, qu’ils expriment et incarnent l’esprit de notre pays et de ses lois. »

Dialogue et raison

Tribunes

Ce qui se passe est grave. Nous sommes le peuple qui avons remis le liberté au goût du jour. Les « Lumières » françaises, c’est le choix de croire au libre arbitre. En la petite possibilité de l’homme qu’il a d’user de sa raison pour choisir sous quelles lois il va vivre avec les autres. C’est l’esprit même de la démocratie. Or aujourd’hui, en France, quand malgré les violences auxquelles on a assisté samedi, plus de 70% des Français soutiennent le mouvement des Gilets jaunes, c’est que la confiance entre le peuple et ses représentants a rarement été aussi faible… En démocratie, dans la situation dans laquelle nous sommes, c’est la marque d’une rupture entre les Français et leur Président, inédite. Cette rupture est grave. La perte de confiance est d’autant plus désastreuse qu’elle se fonde sur un sentiment d’humiliation. Et se sentir humilié par quelqu’un qu’on ne respecte plus, alimente une colère irrationnelle. Or c’est de dialogue et de raison que l’on a le plus besoin.

C’est là que l’attitude du Président interroge. Il est le seul à avoir le lien avec les Français. Aucun ministre n’est légitime pour traiter cette crise : ils n’ont pas été élus par les Français. Par ailleurs les relais de terrain sont faibles. Voir ces pauvres députés ou sénateurs débiter des éléments de langage où l’absurde le dispute au dérisoire, sans même penser à écouter ou à rebondir sur la parole de l’autre, laisse un triste sentiment de vide et de désabusement. Ou/puis de colère. Et là, c’est la colère qui l’emporte. Et elle est immense.

Emmanuel Macron a été élu au suffrage universel direct. C’est ainsi. c’est à lui de parler. Et maintenant. Qu’attend t’il ? 

Le risque que les évènements de samedi dernier aient excités les appétits de personnages bien moins bien intentionnés que les Gilets jaunes est réel. Paris est apparu comme facile à déborder, à occuper parfois, à piller dès que c’est possible. Cumulé à l’énorme ressentiment des Gilets jaunes face à, comment le dire gentiment, le ridicule des propositions du gouvernement. C’est le bal des hypocrites, là où il faudrait simplement de la conscience. Cela laisse un sentiment de jeu du bonneteau : Tout est ouvert / rien n’est donné. C’est un jeu pour voir jusqu’où peut monter la pression ? Il est bête et dangereux. C’est déjà une cocotte minute. En plus, les Gilets jaunes ne méritent pas cela.

Et c’est à la fois ce qui est désespérant et porteur d’espoir. Oui il y a les risques de récupération, mais là dessus il y a un moyen d’être très clair : les matins du Grand soir, les commandements divins, la loi de la jungle et le goût du sang, de la contrainte et de la soumission ne sont pas au programme. Il y a là un vrai mouvement populaire, laissons en émerger les figures, la récupération n’est pas inévitable, la mise en place de cahiers de doléance et d’assises sur le pouvoir d’achat et l’aménagement du territoire peut permettre de renouer le lien entre les citoyens et leurs représentants, sur un travail concret, fondé sur la foi en ce que la raison des hommes peut leur permettre de trouver des solutions ou des compromis pour peu que chacun joue le jeu.

C’est à cela que doit en appeler notre président. Et c’est à lui de le faire. Cela fait un moment que les Français attendent une vraie prise de conscience et pas le énième exercice de communication. La sincérité cela ne se joue pas, c’est pourquoi il est plus convaincant dans le mépris.

Il a beaucoup à apprendre, beaucoup à se faire pardonner, beaucoup à faire. Le reconnaître serait un pas, jouer son rôle institutionnel de rassembleur, renouer le lien, abandonner la communication, le bougisme et la « start-up nation » pour comprendre qu’un pays cela se vit dans le temps long, autant que cela se pense, en serait un autre. Renouer avec l’esprit de ce que la France peut représenter quand elle est grande : la liberté, l’égalité, la laïcité, l’émancipation, la croyance dans le fait que la raison peut organiser les relations des hommes dans la vie publique, même si elle est défaillante souvent.

Il y a de l’énergie chez les Gilets jaunes, l’envie de s’en sortir est là. Ils ne sont pas résignés, ils le prouvent. Et ils sont nombreux chez ceux qui les soutiennent à partager la même peur du déclassement, si ce n’est son fait. Il n’y a pas que du ressentiment, il y a des réalités. Le Président n’a jamais été élu local avant, il ne connait pas ce lien si spécial que l’on peut tisser avec ses électeurs, le hold up réussi de la Présidentielle ne compense pas le déficit d’expérience humaine et cela lui manque cruellement à cet instant. Mais il ne tient qu’à lui de se rappeler que la politique, ce n’est pas planifier l’avenir en plan à 5 bandes, ce n’est pas rationaliser comme si les hommes étaient des concepts philosophiques ou des unités de compte économique. La politique, c’est déjà réussir à donner envie aux hommes d’avancer ensemble vers un but commun. Et ce n’est pas une mince affaire quand on se refuse à utiliser l’arme de la soumission, ce qui est précisément le but de la démocratie.

Et il n’est pas dit qu’on ne puisse pas retrouver ce sens premier de la démocratie et de la politique en retroussant les manches : gilets jaunes, corps intermédiaires, intellectuels, syndicats, gouvernement, élus… Parce que la France le vaut bien, parce que l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes le mérite.

Qu’il trouve cette hauteur de vue là, c’est tout ce que je nous souhaite.

En attendant je pense à ce prochain samedi avec une certaine inquiétude. Et l’attitude d’Emmanuel Macron ne fait que la renforcer. Le voir tirer dans le dos du premier ministre qu’il a envoyé au front ne le grandit certes pas mais montre surtout qu’il « n’a rien appris ni rien oublié », selon le mot terrible qu’eût Talleyrand quand il vit revenir en France les aristocrates que la Révolution française avait chassé du pouvoir. Emmanuel Macron n’est pas à l’Elysée, dans sa tête, il vit à Coblence. Quand en face on a pu voir un Gilet jaune, lors de l’émission spéciale sur BFM TV expliquer qu’il fallait prendre l’Elysée, sans avoir l’air de comprendre que cela s’appelle un coup d’état et qu’en matière d’irresponsabilité, il venait d’enfoncer toutes les limites, on comprend mieux les gens qui désertent Paris et ceux qui font des réserves de pâtes et de riz. Parce qu’à en croire les magasins, les Français ne stockent pas que de l’essence. Tout comme il parait que la profondeur de la tanière des animaux qui hibernent permet de prévoir la rigueur de l’hiver, le fait de faire des réserves dans une société de consommation est un excellent baromètre de la peur sociale.

Entre inexpérience et immaturité du pouvoir et inexpérience et immaturité du mouvement qui le défie, il y a de quoi s’inquiéter. Même si les responsabilités ne sont pas égales : c’est au Président de réintroduire de la raison et d’ouvrir un chemin. C’est sa fonction, sa mission, son devoir et sa dignité. Qu’il continue de se dérober et il attisera la flambée de rage. une seule certitude, ce ne sera bon pour personne.

Mais après tout, le pire n’est jamais sûr, les hypothèses ne se réalisent pas forcément, on peut parfois être surpris par le réveil d’une forme de maturité quand les tensions montent. En attendant, l’état de notre démocratie, lui, est franchement inquiétant. Ce n’est pas bon signe quand à l’international l’heure est à la théocratie, à l’autoritarisme, au nationalisme…