« Il nous faut choisir à présent la fermeté et l’affirmation. »

Gisèle Halimi. Ou quand la question des droits des femmes touche aussi les classes populaires

Tribunes

Gisèle Halimi s’en est allée et elle emporte encore certainement avec elle bien des combats qu’elle aurait voulu mener ; tant de causes à défendre… Les combats de Gisèle Halimi étaient si nombreux qu’on ne pouvait les partager tous. Mais, dans tous les cas de figure, sa sincérité n’était jamais à mettre en cause.
Et parmi les nombreuses batailles qu’elle a menées, celle de la cause des femmes est aujourd’hui saluée par toute la classe politique de droite comme de gauche.
Si la loi Neuwirth en 1967 avait permis l’accès à la pilule contraceptive, l’avortement restait un crime pour le législateur et un tabou pour nombre de citoyens. Les condamnations étaient nombreuses, les décès aussi.
Mai 68 et la naissance, à la même période, du MLF (Mouvement de libération des femmes) attiraient l’attention sur une loi aussi dangereuse pour la vie des femmes et aussi archaïque. Mais, cette revendication légitime n’atteignait pas forcément les femmes les plus concernées, à savoir celles des classes populaires.
Plusieurs raisons à cela. Le droit à l’avortement, tel qu’il était défendu par les militantes féministes d’alors, était souvent noyé dans les revendications plus larges comme le « droit à disposer de son corps » ou de « choisir sa sexualité ».
« Prolétaire du prolétaire », comme disait un slogan féministe de l’époque, les femmes des classes populaires étaient souvent engagées sur le terrain des combats sociaux mais peu sur celui de leur propre condition.
Ces concepts de libération de la femme étaient souvent portés au départ par le milieu universitaire et intellectuel, mais dans les quartiers populaires d’alors, on ne lisait guère Simone de Beauvoir…
Jusqu’au procès de Bobigny en 1972. Tout d’un coup, grâce à Gisèle Halimi, les droits des femmes avaient un et plusieurs visages, et mieux que ça : une histoire. Pour ces femmes, l’histoire sordide du viol de Marie-Claire, la jeune victime, c’était aussi la leur. Elles pouvaient, hélas, s’y identifier. Pour elles, c’était le plus souvent le souvenir d’une souffrance physique et morale, d’un abandon, d’un rejet ou d’une culpabilisation.
En décidant de faire du procès de Marie-Claire, avec son accord et celui de sa famille, Gisèle Halimi les a réhabilitées dès le premier jour. Elles étaient toutes un peu Marie-Claire, issue comme elles des classes populaires. Car si l’avortement clandestin était pratiqué dans toutes les classes de la société, on retrouvait le plus souvent dans les tribunaux ou à la morgue celles aux revenus modestes…
Alors que l’on ne savait pas si le procès serait gagné, Gisèle Halimi a su gagner leur respect car leur souffrance n’était plus une honte. Elles n’étaient plus des criminelles mais des victimes.
Le droit à l’avortement, était majoritairement rejeté à droite, cela on le sait ; ce que l’on sait moins ou que la gauche assume moins, c’est qu’il était très peu pris en compte à gauche également avant les années 70. On connaît les arguments pro-vie de la droite, souvent catholique de l’époque, on oublie la position de certains communistes. Janette Vermeersh, compagne et épouse de Maurice Thorez, était violemment opposé au contrôle des naissances. Elle déclarait à ce sujet en 1956 : « Le birth control, la maternité volontaire est un leurre pour les masses populaires, mais c’est une arme entre les mains de la bourgeoisie contre les lois sociales. » Jacque Derogy, journaliste communiste s’entendit dire par Maurice Thorez « Au lieu de vous inspirer des idéologies de la grande et petite bourgeoisie, vous auriez mieux fait de méditer l’article que Lénine a consacré au néomalthusianisme… Le chemin de la libération de la femme passe par les réformes sociales, la révolution sociale et non par les cliniques d’avortement. » On est stalinien ou on ne l’est pas ! Rappelons que le crime d’avortement avait été aboli par la Révolution en URSS. C’est Staline qui le rétablit en 1936.
Heureusement, cette position n’était pas la plus répandue au Parti communiste français, mais elle a fait beaucoup de mal aux femmes des classes populaires. Et par la suite, les communistes comme la gauche ont intégré ce droit à conquérir dans leur programme.
Mais c’est grâce à Gisèle Halimi et à l’immense visibilité qu’elle a donnée à ce procès que le féminisme est devenu véritablement populaire.
Pour conclure, rappelons sa plaidoirie en novembre 1972 à Bobigny. devant les juges
« Ce que j’essaie d’exprimer ici aujourd’hui, c’est que je m’identifie précisément et totalement avec Mme Chevalier et avec ces trois femmes présentes à l’audience, avec ces femmes qui manifestent dans la rue, avec ces millions de femmes françaises et autres.

Elles sont ma famille. Elles sont mon combat. Elles sont ma pratique quotidienne. Et si je ne parle aujourd’hui, Messieurs, que de l’avortement et de la condition faite à la femme par une loi répressive, une loi d’un autre âge, c’est moins parce que le dossier nous y contraint que parce que cette loi à laquelle je dénie toute valeur, toute applicabilité, toute possibilité de recevoir aujourd’hui et demain le moindre sens, que parce que cette loi est la pierre de touche de l’oppression qui frappe la femme. (…) C’est toujours la même classe, celle des femmes pauvres, vulnérables économiquement et socialement, cette classe des sans argent et des sans relations qui est frappée. Voilà vingt ans que je plaide, Messieurs. (…) Je n’ai encore jamais plaidé pour la femme d’un haut commis de l’État, ou pour la femme d’un médecin célèbre, ou d’un grand avocat, ou d’un PDG de société, ou pour la maîtresse de ces mêmes messieurs. Cela s’est-il trouvé dans cette enceinte de justice ou ailleurs ? Vous condamnez toujours les mêmes, les “Madame Chevalier”. »

Cela n’a pas cessé et aujourd’hui encore, alors que sur notre sol l’islamisme remet clairement en cause l’égalité en droit des femmes, il fait des ravages chez les plus pauvres et les moins éduquées d’entre elles. L’endoctrinement est tel, qu’elles en sont arrivées à présenter comme une liberté, l’acceptation d’un sexisme religieux et coutumier. Et ces femmes n’ont pas accès aux valeurs universelles qui pourraient les émanciper parce que ceux qui devraient les défendre, représentants politiques en premier lieu, ferment les yeux sur la remise en cause de la liberté des femmes musulmanes par les islamistes. Comme si celle-ci n’étaient pas tout à fait française et pouvaient voir leur égalité remise en cause politiquement et dans les faits du moment que cela est présenté comme une obligation religieuse ou une injonction communautariste. C’est ainsi qu’à quelques kilomètres de Paris, certaines femmes ne vivent plus vraiment dans le même monde que les soi-disant progressistes. Ceux qui présentent comme du féminisme, le fait de laisser les femmes se faire opprimer quand c’est au nom de l’islam ou des traditions. Gisèle Halimi, elle, ne s’y est jamais trompée et avait même quitté SOS Racisme en 1989 quand l’association avait pris fait et cause pour l’autorisation du voile à l’école. Il faut réécouter ses arguments, ce sont ceux que n’ont cessé de rappeler les féministes universalistes. (https://www.youtube.com/watch ? v=3D-3pICS51Y).

Alors Gisèle Halimi n’est plus, mais nombre de ses combats sont d’une cruelle actualité à l’heure où les droits des femmes sont attaqués, ou ceux qui se baptisent « progressistes » défendent l’idéologie des fondamentalistes religieux et font passer l’emprise, la soumission et le conditionnement des femmes pour une revendication de liberté et de pouvoir. Elle n’est plus mais espérons qu’elle laisse une postérité sinon l’égalité femme/homme n’aura été qu’une parenthèse européenne enchantée vouée à disparaître sous les coups de la lâcheté conjuguée d’une droite indifférente et d’une gauche complice des idéologies les plus obscurantistes. Et cela est très facilement compatible avec le discours victimaire qui fait de la femme un bébé phoque à protéger. N’est-ce-pas au nom de sa protection que les religions tentent d’en faire une éternelle mineure ? Et bien Gisèle Halimi est la preuve que les femmes sont non seulement fortes mais sont puissantes quand elles se tiennent debout, tête haute et défendent bec et ongles l’égalité qu’elles ont su conquérir et qu’elles doivent aujourd’hui à nouveau défendre.