« Nous ne sommes pas condamnés à manger des briques parce que nos dirigeants vont dans le mur »

Mort de Jérémie Cohen: vers une nouvelle affaire Sarah Halimi ? 

Tribunes

Le 16 février dernier à Bobigny, un jeune homme, Jérémie Cohen meurt, renversé par un tramway. Un dramatique accident de la route  ? C’est en tout cas comme cela que l’information est présentée et traitée. Non seulement par la presse mais apparemment aussi par la police. Le problème est que la réalité est toute autre, ce jeune homme de confession juive, s’est fait violemment agresser par une bande de jeunes qui l’ont mis à terre et l’ont frappé violemment. C’est en les fuyant, qu’il se fait renverser, quelques secondes après la fin du jeu de massacre.

La vidéo qui montre l’agression est atroce et on ne peut s’empêcher de penser à sa famille, directement confrontée au fait que leur fils, leur frère est mort alors que terrorisé il essayait d’échapper à ses bourreaux. Le jeune homme, souffrant d’un léger handicap mental était connu pour sa gentillesse et sa vulnérabilité.

Alors que la famille, bouleversée par le drame, se recueille devant la dépouille de Jeremie, un certain nombre de faits attire son attention. Jérémie a un pansement sur l’œil, ses dents sont cassées et les policiers leur indiquent qu’il semble que l’accident a été précédé d’une agression. Cependant, l’enquête est rapidement reconvertie en accident, la police prétendant n’avoir ni témoignages, ni images permettant de renseigner la thèse de l’agression. Ils se bornent à remettre à la famille une kippa blanche, trouvée sur les lieux où Jérémie est mort, selon le témoignage du père et du frère du jeune homme diffusé par radio Shalom.

Les frères de Jérémie vont alors faire l’enquête que personne ne jugeait utile de mener. Distribuant des tracts dans les boîtes aux lettres autour du lieu de l’agression, ils vont recueillir des témoignages et une vidéo qui montre les derniers instants de Jérémie et la violence dont il est victime. Ce qui avait été présenté comme un accident est bel et bien une agression et peut-être même, une agression antisémite. Face aux preuves que la famille a ramenées en faisant son propre travail d’investigation car elle a refusé que les véritables conditions de la mort de Jérémie soient transformées en banal accident, l’enquête est alors rouverte. Il faut dire que les images laissent peu de doute sur le lynchage dont le jeune homme handicapé a été victime.

Non seulement les circonstances de la mort de Jérémie interpellent, mais il est choquant d’entendre le témoignage d’une famille qui a dû se substituer à l’action de la police pour que l’affaire ne soit pas classée. En attendant à défaut d’avoir été couverte à l’origine par la presse classique, l’affaire agite depuis quelques jours les réseaux sociaux. Il faut dire que la famille, indignée par la façon dont la mort de Jérémie avait été traitée et craignant que les éléments nouveaux ne soient pas pris en considération, a contacté Éric Zemmour, afin que celui-ci diffuse l’information. Le tweet du candidat à la présidence de la République ayant eu un fort retentissement, une partie des activistes des réseaux venant de la gauche accuse alors l’extrême droite d’instrumentaliser ce drame, niant le scandale que constitue le fait que la famille ait été obligée de mener sa propre enquête pour pouvoir réclamer justice.

Certes, s’il faut encore attendre les résultats de l’instruction pour savoir si à la violence gratuite peut être ajouté le motif aggravant d’antisémitisme, il n’en reste pas moins que cette histoire se déroule dans un contexte particulier. Il devient de plus en plus dangereux d’être juif dans certaines banlieues. En Seine-Saint-Denis notamment, une partie des enfants juifs ne peuvent être accueillis à l’école de la République car leur sécurité ne peut être assurée. La situation a pris de telles proportions que l’on a appelé Alya interne, le départ en nombre de familles juives dans toute une série de communes de ce département. Jérôme Fourquet le raconte dans son livre, L’an prochain à Jérusalem, paru en 2016, le silence des élus du département face à cette situation ou leur façon de relativiser un fait pourtant mesuré est particulièrement dérangeant. Rien d’étonnant donc si depuis la situation ne s’est pas améliorée.

Or, cette violence antisémite est liée à la situation au Moyen-Orient et à l’importation sur notre sol de l’exaltation du militantisme propalestinien. Les territoires où la violence envers la population juive est la plus forte sont ceux où la population d’origine arabo-musulmane est aussi la plus concentrée. Mais ce nouvel antisémitisme a été nié au point qu’oser en parler vaut en général renvoie à l’extrême droite et accusation de racisme. Ce contexte explique aussi que la dimension possiblement antisémite du lynchage qu’a subi Jeremie Cohen soit interrogée et la crainte que cet aspect du dossier puisse être nié.

En attendant d’en savoir plus, l’écoute du témoignage du père et du frère de Jérémie est difficilement soutenable, tant on ne souhaite à personne de voir la mort d’un fils et d’un frère assimilé à un accident, quand elle est visiblement liée à cette violence décomplexée que certains jeunes infligent tant leur sentiment d’impunité est profond. On peut se demander si sans le travail des frères de la victime, ce sentiment d’impunité n’aurait pas été simplement une réalité. C’est ce qui fait aussi froid dans le dos dans cette histoire.

Article publié dans Le Figaro le 5 avril 2022