« Nous avons encore de belles choses à apporter au monde, tout un patrimoine à faire partager et un monde commun à reconstruire. »

Une Présidentielle pour rien.

Tribunes

Il paraît qu’à l’Elysée, on panique et que l’on prend en compte l’hypothèse du croisement de courbes entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

L’hypothèse me paraît exagérée même si l’écart final devrait être moindre que le 27/22 très souvent mesuré.

S’agit-il de surjouer la panique parce que faute d’avoir fait campagne, seules la diabolisation de l’adversaire et la culpabilisation de l’électeur offrent une porte de sortie à un pouvoir déconsidéré ou la peur est-elle réelle (à moins que les deux hypothèses ne se conjuguent) ? Je ne sais. Il n’en reste pas moins que la situation exigerait une prise de conscience rapide de l’impasse politique dans laquelle se trouve ce président qui ne peut rassembler qu’en agitant le spectre du retour des heures les plus sombres de notre histoire alors qu’assimiler Marine Le Pen à Hitler ou à Pétain est tout de même fort peu crédible.

On attendrait donc que dans une période où les enjeux sont aussi élevés, une interview du président candidat soit la marque d’une authentique prise de conscience, qu’elle ne soit pas empreinte d’un satisfecit larvé, de fausse modestie et de mauvaises excuses tout en réussissant l’exploit de n’ouvrir aucune perspective. On aurait été en droit d’attendre autre chose que du gloubi-boulga verbal et un prêchi-prêcha sans objet qui ne font qu’attester qu’une fois réinstallé sur le trône, il poursuivra une politique qui nous envoie tous dans le mur.

C’est l’inverse qui se produit. Il sent bien le vent du boulet mais n’a aucune intention de changer. Son discours ressemble trait pour trait à celui qu’il tenait après l’épisode Gilet jaune. Un épisode qui ne lui a rien appris. Le techno arrogant qui regarde les gens de haut est toujours là. Sa seule proposition ? Des comités citoyens. Ça tombe bien ce type de structure a montré toute son inutilité tant en matière de transition écologique que de gestion de la politique vaccinale. C’est pourtant la seule proposition que contient ce calamiteux entretien.

Avoir si peu de choses à dire et accumuler tant de mots pour danser au dessus du vide est étonnant mais révélateur : et si la raison pour laquelle il n’a pas fait campagne, n’était pas seulement liée à la guerre en Ukraine où au fait qu’il s’estime au dessus de tout cela, mais simplement témoignait du fait qu’il n’avait rien à dire et qu’il est incapable de tracer la moindre perspective pour ce pays et ses citoyens. Même ces constats sont alambiqués et un peu fuyants. Une interview aussi creuse à un moment qui nécessiterait pourtant une vraie rencontre entre un peuple et son dirigeant est révélatrice d’une incapacité à se hisser à la hauteur des circonstances.

Un extrait de cette interview traduit parfaitement ce décalage : « Les deux anciens grands partis républicains sont devenus des partis d’élus locaux. Si je devais donner une forme de matrice ou de translation de ce que nous faisons depuis 2017, c’est le regroupement de la social-démocratie, de l’écologie de progrès qui refuse la décroissance, du centre politique, des radicaux, de la droite orléaniste et d’une partie de la droite libérale et bonapartiste. » C’est l’équivalent de « tout est dans tout mais l’essentiel est ailleurs » en bien moins fin.

Cet homme sera pourtant un des rares présidents de la 5eme République que l’on a eu dernièrement à être réélu. Comme quoi les circonstances sont plus fortes que les qualités des individus. J’entends bien ceux qui brandissent la menace d’une accession au pouvoir de Marine Le Pen. Mais celle-ci, si elle n’est plus impossible reste fortement improbable.

Le cumul d’une forme de légitimisme en temps de crise, du fait que ceux qui votent le plus sont ceux qui ont le moins intérêt à ce que la situation du pays ne soit pas bouleversée, d’un vote des plus âgés favorables au sortant, bref le fait que la sociologie du vote comme son contexte soit en faveur de EM devrait jouer encore une fois. D’autant que l’abstention devrait être plus importante et qu’elle joue aussi en faveur d’EM et en défaveur de MLP.

Il n’en reste pas moins que la colère du peuple est profonde et que le choix massif au deuxième tour du vote RN (on est sur du 47/53 voire 48/52 dans les sondages) est très révélateur à la fois de la crise de la démocratie et du sentiment profond d’une grande partie des Français de n’être ni entendus, ni écoutés. Or le mépris social est toujours aussi profond chez EM et transparaît à travers tout ce faux exercice de contrition qu’est cette interview. Il n’a rien appris et les crises ne l’ont pas grandi sinon nous n’en serions pas là.

Cette élection va être gagnée par défaut une fois de plus et on ne voit pas très bien comment ce pouvoir pourra nous éviter le mur social, économique et culturel qui se dresse devant nous. Car si Emmanuel Macron n’a rien d’autre à proposer aux Français que la diabolisation de son adversaire, cela en dit long sur le fait qu’il veut le pouvoir sans passer de contrat moral même minimal avec les électeurs.

Il est le candidat d’un parti attrape-tout, sans identité, il ne propose aucune vision du monde ni chemin pour l’avenir et n’est donc engagé par rien ni tenu à rien. Les invectives dont ses partisans poursuivent sur la toile ceux qui refusent l’idée du vote barrage montrent très bien cette leçon politique de base : on ne rassemble que par un projet commun, par le sentiment que l’on partage une certaine vision du monde, pas parce que l’on dépeint son adversaire comme le mal absolu. C’est parce que le mandat d’Emmanuel Macron est comme ceux qui l’ont précédé celui de l’échec de la mondialisation heureuse et du multiculturalisme béat et qu’il a tué toute possibilité d’alternative autre que réactionnaire ou révolutionnaire que nous en sommes là.

La gauche étant dominée par un parti qui a renié la République et l’émancipation, la droite avait un boulevard pour peu qu’elle ait su réanimer le gaullisme social, elle aura choisie de se dissoudre dans une posture technocratique et un discours inaudible qui ne lui a pas permis de s’ouvrir un espace et un espoir politique. Le premier tour peut permettre ainsi d’explorer des nuances : « je vote Roussel pour envoyer un message de ras-le-bol du wokisme, du racialisme et du clientélisme islamiste », « je vote Lassale pour manifester mon désir d’une meilleure écoute de la France périphérique » « je vote Hidalgo ou Pecresse par fidélité à mon vieux parti »… Tout ces votes sont légitimes mais ne changeront rien à un jeu qui parait tranché depuis fort longtemps.

Le deuxième tour Macron/Le Pen est déjà acté par la plupart des observateurs et des électeurs. La pression pour que ce choix deviennent le choix du bien contre le mal, de la décence face à l’abjection est déjà en cours. Le problème est que ce vote barrage a déjà profité au candidat-président en 2017 et qu’il n’a tenu aucune des promesses de reconstruction de notre monde politique. Au contraire, il devient une prime au cynisme et à l’indifférence des attentes des Français.

Pourquoi reconstituer une offre politique quand on peut se faire réélire ad nauseam sur la diabolisation de l’adversaire ? Le vote barrage n’aboutit dans les faits qu’à redonner le pouvoir à ceux qui sont les meilleurs artisans du vote protestataire qu’ils disent vouloir combattre. C’est la prime au plus cynique qui entretient les causes dont il maudit les conséquences. En n’investissant pas la campagne, en méprisant le dialogue avec les Français, en n’ouvrant aucune perspective, Emmanuel Macron rend le vote barrage de plus en plus humiliant pour les citoyens et de moins en moins signifiant en terme démocratique.

Voilà pourquoi plus l’élection approche, plus la colère grandit et pourquoi le vote n’aura pas l’effet cathartique qui permet de poser et de résoudre un conflit. Quel que soit le résultat de la Présidentielle, le locataire de l’Elysée sera mal élu et contesté à peine aura-t’il été investi. Et le président actuel ne sera pas pour rien dans ce résultat.