« La République nous rassemble, elle nous grandit. Menacée, elle nous appelle ! »

Une parole qui ne permet pas la rencontre

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J’ai eu un drôle de sentiment à l’écoute des voeux de notre Président. L’homme a de l’allure, de la prestance, le choix d’une position debout donnait plus de dynamisme à sa parole et pourtant, comme toujours, sa parole ne permet pas la rencontre. C’est un lieu vide, froid, calculé et instrumentalisé. Non que tout discours ne soit pas pensé, réfléchi, travaillé en vue d’un objectif, mais le but est que de la parole donnée naisse un engagement, une promesse d’avenir. Ce qui est intéressant c’est la fécondité de la parole. La sienne cette fois encore est stérile car il ne l’habite pas. C’est un instrument de domination, pas une façon d’engager son être.

Et c’est son corps même qui nous le dit, trop raide sans être habité par le solennel, ses mains, trop mobiles mais qui ne s’ouvrent pas vers l’autre ou au mauvais moment, son absence d’expression et ses yeux opaques qui sont autant de fenêtres occultées. Bref difficile d’être à ce point en dissonance avec sa parole comme avec le moment. Le moment exige une part de don de soi, pas de domination ou de certitude d’avoir raison. Pour ne pas l’avoir assumé et pour avoir choisi les eaux froides du calcul égoïste, son corps contredit son discours, à coups de petits sourires intempestifs et satisfaits, de tentative de séduction quand il faudrait de la profondeur, d’incapacité à exprimer une émotion sincère pour créer du lien. Au terme de ces vœux, l’homme s’est avéré piètre comédien et son absence d’intériorité a désarmé sa parole. On est en face d’une façade Potemkine : tout est dans l’apparence mais il n’y a pas de contenu. Une publicité alléchante, mais pas de marchandise dans la réserve.

Non que le discours soit nul. Dit par un autre il aurait juste fait partie de ces rituels désuets, qui tiennent par la force de l’habitude quand la magie de l’attente les a désertés. Sauf que là le discours eut pu être important, parce que les temps le sont. On sent que le rédacteur a dû avoir cette intuition mais il a reculé. Le vrai défi immense c’était que le discours s’enracine dans le réel et ne le ripoline pas. Il est resté dans l’entre-deux et du coup il offre une double lecture qui peut mettre mal à l’aise. Par exemple quand Emmanuel Macron parle de son vœu de vérité, sur fond d’affaire Benalla et suite à l’effondrement de sa République exemplaire, cela prend une dimension cocasse. Peut-être aurait-il pu faire amende honorable et reconnaître qu’atteindre l’exemplarité nécessitait un travail sur soi qu’il était peut-être le premier à avoir sous-estimé, qu’il le payait cher mais au juste prix, car à la fin la légèreté du Prince ne porte pas préjudice qu’à sa personne, elle fait le malheur de son peuple. Mais non. Pas de prise de conscience : il est juste sur les fake news, alors que tout le monde pense aux promesses trahies, à son comportement inapproprié et à l’exemplarité en berne de sa personne, comme de son entourage. Bref quand il prononce ses vœux, on aimerait plutôt entendre ses résolutions. Quand il énonce ce qui devrait être, il pointe du doigt les errances des autres, quand on attend plus de lucidité sur lui-même.

Du coup il agace et dénoue un peu plus le fil qu’il aimerait retisser

Son discours est certes sans grâce ni âme, mais à la limite, à l’exceptionnel nul n’est tenu. Non, ce qui met mal à l’aise c’est qu’il est à côté de la plaque. Il commence par un énoncé en forme de satisfecit des « Réformes », cette grande geste du Macronisme que les Français voient comme du « bougisme » et que LREM essaie de nous faire passer pour une épopée. Le problème est la stérilité de ces évocations, elles ne font naitre aucune représentation, n’éveillent aucun souvenir, n’alimentent aucune idée de l’avenir. Le lapsus sur les « chemins de fer », terme désuet apparait fortuitement et révèle le décalage : la « Réforme » chez Macron ne puis pas dans la volonté de construire l’avenir, mais de donner des gages financiers au présent en mettant aux normes les survivances de l’organisation de la société issue de la Résistance. Le tout se faisant sans aborder la question de la vision de la société, du système politique et du fonctionnement des institutions que cela implique.

Autre faille profonde : le passage sur les hôpitaux. Nos représentants nous croient à ce point-là aveugles, sourds et détachés du réel  ? Ils oublient que s’il y a un service que tout le monde côtoie régulièrement, c’est bien celui de l’hôpital et difficile de ne pas voir à quel point celui-là va mal. Comment se féliciter de l’excellence de notre système médical alors que la médecine à deux vitesses est d’ores et déjà une réalité, que les personnels hospitaliers se révoltent, le tout dans le déni de l’AP-HP et du ministère  ? Alors que de nouvelles coupures de crédits pèsent sur eux  ? Franchement comment énoncer une exigence de vérité quand on enfile avec autant de régularité les perles du déni  ? 

Pareil sur les grands défis du monde : il dénonce l’impuissance mais est incapable de réfléchir en termes de souveraineté. Sa seule porte de sortie : l’Europe. Mais une Europe qu’il défend de façon si infantile que ce sont les mots du général de Gaulle qui me reviennent en tête : « Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « l’Europe  ! « , « l’Europe  ! « , « l’Europe  ! « , mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien. ». Ce qui pêche, c’est bel et bien la question du sens. Ce qui fait le politique est la capacité à donner un sens à l’avenir et à unir les hommes dans un projet commun. Or Emmanuel Macron quand il parle d’Europe agite un flacon qu’il est bien incapable de remplir et auquel il a du mal à donner envie d’y goûter. Sur ce point-là, il ne fait pas mieux que ses prédécesseurs, mais il le fait avec une exaltation infantile qui augure mal de son discernement et peut faire craindre pour les intérêts de la France.

Je ne pense pas que qui que ce soit aurait osé proposer à un Mitterrand ou à un Chirac de céder le siège de la France au Conseil de sécurité de l’ONU en faveur d’une entité européenne non démocratique et sans incarnation, et bien avec Emmanuel Macron, les allemands ne se sont pas gênés. Cela dit tout de la vision qu’ont les autres pays de la capacité de notre Président à défendre nos intérêts. Dans une Europe dont les tensions vont croissant, continuer à faire de l’Europe en théorie sans regarder en face le délitement actuel, c’est contribuer par puérilité à sa décomposition. L’Europe ne peut plus être la martingale pour se défausser de son impuissance à l’intérieur de ses propres frontières. L’Europe n’est pas la solution, mais on a l’impression qu’Emmanuel Macron n’en a pas d’autres et cela est inquiétant.

C’est en cela que la parole du Président n’est plus audible. Non seulement elle manque de substance, mais sonne faux. Pourquoi ? Parce qu’au-delà de l’absence de perspective d’avenir et de représentation du réel qui lui fait cruellement défaut, il y manque ce qui a causé la rupture avec les Français et qui lui est imputable à lui : son comportement indigne de sa fonction. D’ailleurs le fait que ces voeux se déroulent sur fond d’affaire Benalla montre qu’Emmanuel Macron n’a toujours rien appris et est encore la victime de ses inconséquences et de son refus d’assumer ses responsabilités. Car pour qu’un Benalla se permette ce qu’il se permet, l’absence de discernement du Président est manifeste : on ne remet pas un passeport diplomatique à un homme qui a un rapport très éloigné avec la notion de légalité, de décence et de moralité. Le fait étant manifeste, on ne reste pas en contact avec un homme sans tenue ni jugement quand on représente la France et que l’on a été ainsi bafoué. Sinon force est de s’interroger sur ce que sait Alexandre Benalla, par quoi tient-il le Président pour qu’il lui soit permis autant de choses  ? Si un zozo peut aller aussi loin, y-a-t-il d’autres personnes plus importantes à avoir ce type d’emprise  ? Ces questions sont essentielles en démocratie et c’est une grande faiblesse d’Emmanuel Macron que de nous mettre dans un tel état de perplexité face à son discernement.

Or la fonction présidentielle mérite que l’on s’élève jusqu’à elle. Même l’auteur de Spiderman a essayé de le transmettre à ses jeunes lecteurs : « un grand pouvoir engendre de grandes responsabilités ». Le petit bout de la lorgnette « Benalla » nous montre qu’Emmanuel Macron a du mal à s’astreindre aux obligations et nécessités de sa fonction et a encore plus de mal à apprendre de ses erreurs, ce qui est encore plus inquiétant. L’homme n’a pas compris que s’il paye plus de 30 ans de médiocrité politique, il a une part personnelle dans la colère et le ras-le-bol des Français. Aujourd’hui il incarne le mépris de classe et la morgue du technocrate arrogant. Dans ce rôle il excelle d’ailleurs. Dans celui de Président, il n’a pas été à la hauteur et ne l’est toujours pas. C’est cela a rendu ses voeux inaudibles.

Pour renouer le lien il fallait d’abord accepter la contrition, pas vouloir le pardon sans l’amendement, le retour en grâce sans les excuses. Il eût fallu, pour le jeune homme gâté et ambitieux, reconnaître ses erreurs, se montrer modeste, montrer qu’il avait appris jusque dans sa chair ce qui arrivait à son pays et qu’il n’était plus le Prince trop gâté qui hérite du pouvoir sans avoir jamais rien fait pour le mériter. Mais au contraire, un homme que les épreuves avaient mûri et les réalités avaient fait grandir. Mais non, on a toujours en face de nous le jeune major de promo, génie de la théorie et gâte-sauce de la pratique. Un premier de la classe sans consistance ni engagement qui se voit en reine du bal alors que le premier enjeu consiste justement à sortir de la salle pour aller empoigner la charrue.

Le temps des petits marquis poudrés qui héritent de la France en passant par l’ENA ou en faisant leurs classes en tant qu’apparatchiks dans les grands partis et qui regardent de haut la classe laborieuse et industrieuse qui fait la réalité de notre pays est fini. Mais leurs derniers avatars sont encore au pouvoir, perdus et désorientés, incapables de sortir de la logique dans laquelle ils ont été élevés, ils sont aujourd’hui morts de peur. Il aura suffi d’un gilet jaune et du réveil d’une province qu’ils croyaient à jamais domptée par Paris pour qu’ils se rendent compte que la France ne se résume pas à quelques arrondissements. L’ennui, c’est qu’ils le déplorent, le problème c’est qu’ils en ont peur, l’impasse c’est qu’ils donnent l’impression d’amalgamer la France qui souffre et veut vivre de son travail avec les extrêmes que leur propre impéritie a nourri.

Les vœux de notre Président montre que la prise de conscience n’ayant pas eu lieu, les conditions de la confiance ne peuvent donc pas revenir. Cela nous promet des européennes sous haute-tension, un début d’année difficile et un débat public compliqué puisqu’avant même d’être lancé, l’un des sujets qui inquiète le plus les Français et les européens (l’immigration et au-delà les questions d’insécurité culturelle comme d’exigence sur les politiques d’intégration et d’assimilation) a été noyé dans la masse par peur des politiques de ne pouvoir y faire face… Si ceux-ci veulent ouvrir un débat mais ne se sentent pas en capacité d’échanger avec leurs propres citoyens, il y a de quoi s’interroger. Et pour les avoir vu à l’œuvre dans l’épisode des Gilets jaunes, il faut reconnaître que les troupes d’Emmanuel Macron font preuve de lucidité en reconnaissant en creux leur incapacité. Une fois de plus il va falloir compter sur la capacité citoyenne des Français pour sauver la face de notre classe politique et empêcher que les Européennes soit un happening extrémiste. Au vu du détachement des peuples envers l’Europe, pas sûr que nous évitions le grand défouloir. Et le discours d’Emmanuel Macron devrait hélas y contribuer.

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